Yara Kassem“Je me vois comme une citoyenne qui a des droits. Je suis descendue dans les rues parce que j'estimais qu'il y avait de la discrimination et que l'on me retirait mes droits.” Yara Kassem est une traductrice, activiste et dessinatrice. |
Yara est active pour défendre les droits des citoyens avec ses dessins et utilise les outils en ligne tels que Flickr et les médias sociaux pour faire passer son message. Elle explique également comment les fresques murales offrent un moyen de dire la vérité à la société face aux mensonges institutionnels. Site Internet : http://yaradraws.blogspot.com/ Flickr: flickr.com/yarakassem Twitter: @Yara_Kassem |
Entrevue
Interviewée en anglais au Caire le 12 avril 2012 par Tatiana Philiptchenko.
Traduction et adaptation vers le français par Anthony Le Parc. Révision et correction par Sonia Jane Fredj et Anthony Stéphan. Q : Où étiez-vous le 25 janvier 2011 ? J'étais chez moi. Je ne pensais pas que quelque chose d'important aurait pu se passer ce jour-là. Depuis 2006, j'ai participé à de petits rassemblements. Le 25 janvier 2011, j'étais assez contente, car je voulais voir du monde descendre dans les rues, et c'est finalement ce qu'ils ont fait. Et avant cela, je commençais à perdre tout espoir. Q : Pouvez-vous décrire la période aux alentours du 25 janvier 2011 ? Avant cela, il y a eu les élections : ce fut un désastre. J'y ai participé en tant que qu'observatrice. Puis, il y a eu l'attentat à la bombe de l'église à Alexandrie, ce qui fut horrible. La révolution en Tunisie nous a donné l'espoir que nous pouvions faire la même chose. Quand les manifestations ont débuté le 25 janvier 2011, nous étions tellement investis et nous n'avions peur de rien. Nous étions décidés à rester dans les rues jusqu'à la chute du régime. Certains jours étaient effrayants comme le 28 janvier et le 2 février pendant la bataille des chameaux. Q : Un an après, qu'a changé la révolution ? Beaucoup de choses ont changé, mais pour le moment il n'y a aucun grand changement politique. L'ancien régime a été capable de rassembler. Le même régime est là, mais avec des visages différents. D'un autre côté, la population sait maintenant qu'elle doit se battre pour ses droits et qu'elle peut changer les choses (en particulier la classe ouvrière). Il y a toujours beaucoup de déception et beaucoup de travail devant nous. Maintenant, les gens parlent de politique 24h/24, même s'ils ne comprennent rien en politique. Avant en Égypte, la politique était vue négativement. À présent, la population en discute. Q : Pensez-vous faire la différence avec vos illustrations et votre art ? J'espère. Mais je ne me vois pas comme une artiste. Mon but est de m'exprimer. Je ne suis pas bonne pour l'écriture, c'est pourquoi j'exprime mes opinions dans mes peintures. Je serais heureuse si cela faisait la différence pour certains, mais mon but est de m'exprimer. Q : Votre vie personnelle a-t-elle changé depuis la révolution ? Ma famille n'est pas très contente de mes opinions politiques et de mes activités. Et maintenant, ils ont appris à les connaître (rire). Q : La situation des femmes en Égypte est-elle bonne ou mauvaise actuellement ? C'est un problème dans la société. Personnellement, je la qualifie de « société malade ». Ce n'est pas pire qu'avant. Mais qu'on le dise ou pas, beaucoup parmi nous pensent que les femmes sont inférieures aux hommes. C'est le problème. Beaucoup de gens n'acceptent pas l'idée que les femmes puissent manifester et participer à des sit-in sur la place Tahrir ou ailleurs. La première fois, c'était tellement évident que l'armée avait pratiqué des tests de virginité sur les manifestantes (1). L'armée sait comment influencer la société. Ils prétendent qu'ils l'ont fait pour vérifier si les femmes étaient vierges ou pas. Par conséquent, la société a dit que si la femme n'est pas vierge, ils ne se battront pas pour elle. La deuxième fut quand les femmes se trouvèrent devant le parlement. C'était quand les femmes furent harcelées et frappées (en décembre 2011), avec la fille au soutien-gorge bleu (2). Beaucoup de gens se demandaient ce qui avait amené les manifestantes là-bas en première ligne. Q : Y a-t-il eu des revers de la médaille après la révolution ? Oui, parce que l'armée contrôle les médias d'État et parce que nous avons échoué à obtenir des droits au nom des personnes mortes pendant la révolution. Les médias ont propagé de fausses rumeurs sur les manifestants. Et de nombreuses personnes n'ont pas sympathisé avec eux. L'autre revers de la médaille est la fatigue et la déception des Égyptiens, car les changements n'arrivent pas. Q : À votre avis, quel est le plus grand danger maintenant ? Tous les facteurs cités au-dessus combinés. Q : Quel rôle les médias sociaux ont-ils joué dans la révolution ? Ça nous a aidé au début à nous organiser, parce que les médias d'information publics étaient défaillants. Beaucoup de gens se connectaient sur leur compte de médias sociaux pour obtenir de l'information ; mais je ne veux pas les surestimer, car les médias publics et privés influencent toujours les Égyptiens. Q: Quand avez-vous commencé à utiliser les médias sociaux ? Il y a peut-être 5 ans. Au début, c’était totalement personnel. Puis, j’ai commencé à mettre mes dessins (3) sur Flickr et c’est ainsi que j’ai commencé à utiliser les médias sociaux à des fins politiques. Maintenant, j’ai beaucoup de commentaires sur mes dessins. Avoir une présence sur Internet, m’a donné beaucoup de travail en freelance et un réseau social plus important. (lire la suite à droite) |
Q : Est-ce plus difficile pour vous, en tant que femme, d’être prise au sérieuse avec vos dessins ? Dans une certaine mesure, oui. J'ai trouvé très difficile de travailler comme dessinatrice dans un journal égyptien. C'est tellement dur que j'en ai perdu l'intérêt. Je ne suis plus intéressée à travailler dans un de ces journaux. J'apprécie plus de le mettre sur Internet et recevoir les commentaires de nombreuses personnes. Q : Pensez-vous que l'expression artistique est importante dans la révolution ? C'est extrêmement important parce que la révolution nous a apporté le meilleur comme le pire. À présent, je vois beaucoup de talents dans les rues, des gens qui chantent dansent et les fresques murales. Nous appelons cela la contre-offensive Maspero. Certaines personnes au pouvoir propagent des mensonges, mais nous disons la vérité avec nos fresques murales par exemple. Cela affecte de nombreuses personnes de tous milieux, parce que, cet officier se concentrait sur les yeux des gens (leur tirait dessus) pendant la révolution. Beaucoup ne savaient rien de tout cela. Ils l'ont appris grâce aux fresques. Nous avons fait la même chose en dessinant ceux qui sont morts pendant la révolution pour que la population s'en souvienne. Q : Que pensez-vous de la représentation des femmes au parlement ? Je ne reconnais pas encore l’existence de ce parlement. Ce n'est pas un parlement légitime. Il y a besoin de beaucoup de changements dans la rue avant que l'on ait un vrai parlement. Q : Vous considérez-vous comme une révolutionnaire ? Pas vraiment. Je me vois tout simplement comme une citoyenne qui a des droits. Je suis descendue dans les rues parce que j'estimais que j'étais victime de discrimination et que l'on me retirait des droits. Q : À votre avis, à quel point les médias sociaux ont joué un rôle dans la révolution ? Les appels du 25 janvier se sont faits à travers Twitter et Facebook. Quand ces personnes (les manifestants) sont descendues dans les rues, ceux qui se trouvaient chez eux les ont rejoints. Et plus la police réprimait brutalement les manifestants, plus de gens descendaient dans les rues. Q : Qu'aimez-vous dessiner le plus ? Je dessine ce qui me cause une certaine douleur. Pour souligner une sorte de douleur. C'est ce que je dessine. Quelque chose qui me touche. Q : Comment les gens réagissent à vos dessins ? Certains aiment. Certains sont touchés. Certains m'insultent. Je reçois de nombreuses insultes sur Twitter et Facebook. Beaucoup de gens ne veulent pas que vous vous exprimiez sur ce qui se passe. Q : Est-ce parce que vous brisez des tabous ? Oui, c'est la raison principale ; spécialement quand on aborde la question de la femme. Par exemple, je me suis acharnée à dessiner sur le sujet des tests de virginité. Cela m'a pris un an pour y arriver avec un dessin, j'ai enfin fait un dessin sur ce sujet (4). J'ai fait ce dessin parce que j'étais furieuse de voir que les gens faisaient comme si rien ne s'était passé. Non, ce n'est pas un test insignifiant : c'est du harcèlement. C'est à cause de ces tests de virginité que je parle de société malade. Et alors, même si les femmes, dans les manifestations, ne sont pas vierges ? Ce sont des citoyennes aussi ! Elles ont des droits. (1) http://www.guardian.co.uk/lifeandstyle/the-womens-blog-with-jane-martinson/2011/oct/28/virginity-test-tahrir-square (2) http://www.thedailybeast.com/articles/2012/06/27/egypt-s-sexual-harassment-epidemic.html (3)http://www.flickr.com/photos/yarakassem/sets/72157630158358742 (4)http://www.flickr.com/photos/yarakassem/7385809956/in/photostream |