Shahira Amin“ Même quand je reçois des menaces de mort, je me dis : non, c'est ma mission, si je meurs, c'est le prix à payer ” Shahira Amin est une journaliste indépendante avec une carrière prolifique, elle collabore avec de nombreuses publications. Elle est une ardente défenseur des droits des femmes. Shahira a fait la une pendant la révolution de 2011 en démissionnant de son poste de présentatrice du journal télévisé NILE TV pour protester contre le traitement des évènements par la chaîne. |
Pendant l’entrevue, elle aborde le sujet du harcèlement que les femmes subissent de certains membres des autorités militaires et de leurs agents. Elle évoque aussi sa démission de Nile TV au plus fort de la révolution. Twitter: @sherryamin13 |
Entrevue
Interviewée en anglais au Caire au printemps 2012 par Tatiana Philiptchenko.
Traduction et adaptation vers le français par Anthony Le Parc. Révision et correction par Christine Brien Kilian. Q : Les Égyptiennes ont-elles tiré profit de la révolution de 2011 ? Oui et non, car bien sûr c’est aussi notre révolution et comme vous avez pu le constater les femmes se sont beaucoup impliquées dans la révolution. Elles étaient sur la place Tahrir, non seulement avec un rôle traditionnel, mais aussi pour être à la sécurité aux entrées, distribuer de la nourriture, soigner les blessés dans les hôpitaux de fortune, mais aussi prendre la tête des manifestations. Beaucoup de femmes étaient sur les podiums scandant et faisant répéter les hommes après elles. Ce sont les femmes qui ont commencé la révolution : Asmaa Mahfouz [1], quand elle a mis en ligne la vidéo pour dénoncer la brutalité policière (contre Khaled Saïd). Il était le jeune activiste dont le décès a vraiment déclenché la révolution via Facebook et Twitter. Voilà pour le oui de la réponse. Ce qui a choqué après la révolution, c’est qu’il y a eu des tentatives pour faire retourner les femmes dans l’ombre et les marginaliser. Le fait qu’aucune femme n’ait été invitée à participer au “ comité des sages ” pour rédiger des amendements à la constitution, était choquant. Dans le nouveau parlement, les femmes sont clairement sous-représentées, et cela en dépit d’un niveau d’activisme sans précédent. Elles ont commencé à joindre des partis politiques, à faire campagne et à se mobiliser d’une façon que je n’avais jamais vue sous le régime de Moubarak. Et néanmoins, si vous regardez le gouvernement actuel, on ne trouve qu’une seule femme ministre rescapée de l’ancien régime. Pas d’autres femmes dans le cabinet. Il y a aussi une augmentation du harcèlement sexuel et particulièrement des agressions sexuelles sur des manifestantes. La “ fille au soutien-gorge bleu ” [2] est évidemment devenue un double symbole de la lutte pour l’égalité et la liberté, et de l’échec du printemps arabe. C’est positif et négatif : le fait que des femmes soient descendues par centaines pour manifester et dénoncer la brutalité des forces armées à l’encontre des manifestantes, et plus particulièrement à l’encontre des femmes journalistes, qui ont été humiliées et intimidées, est positif. Je trouve que le fait de viser les femmes journalistes est quelque chose de systématique en Égypte. Ça a commencé en 2005 avec la couverture des élections par des femmes journalistes. Elles avaient leurs vêtements arrachés, leurs voiles enlevés de leurs têtes, elles étaient insultées, on les traitait de prostitués et de menteuses. Cette année-là, une femme, en chemin pour couvrir les élections, pouvait être attaquée dans un taxi et intimidée pour l’exemple. Maintenant en 2012, les mêmes tactiques sont utilisées contre les femmes journalistes couvrant des évènements d’actualité. Pendant l’un des “ millions de défilés ” au Caire, une reporter, qui le couvrait sur la place Tahrir, a été agressée. La foule lui a arraché ses vêtements et on l’a photographiée. Le jour suivant, sa photo était dans tous les journaux, c’était comme un message : “ voilà ce qui arrive ”. C’était une jeune femme copte en reportage pour une chaîne satellite copte, et elle a été agressée sexuellement. Ils se sont assurés que le message soit diffusé dans les médias. Cela ne devrait jamais arriver dans un pays conservateur comme le nôtre où la chasteté d’une fille représente l’honneur de la famille. Cela a terni sa réputation et ruiné ses chances de se marier. On peut considérer ça comme un message d’avertissement aux autres, un moyen d’intimidation. J’étais à Tahrir le 25 janvier 2012 (premier anniversaire de la révolution). J’y suis allée pour parler sur le podium. Je pensais que nous aurions eu une deuxième révolution pour chasser la dictature militaire. Au contraire, j’ai vu des gens s’en réjouir. J’ai été très déçue. Je leur ai dit de la scène : “ Que célébrez-vous ? Qu'avons-nous accompli ? ”. À l’instant même où j’ai quitté le podium, des hommes sont venus me peloter et toucher les parties intimes de mon corps. Ce n’est pas seulement moi à qui s’est arrivé. Bothaina Kamel [3], candidate à la présidentielle, a été agressée à plusieurs reprises. Nawara Negm [4], la porte-parole activiste, qui est une critique acharnée du régime militaire, a été frappée et molestée. Cela s’est répété à maintes reprises. Viser les femmes activistes et journalistes est systématique. Si je dis oui et non : quand les femmes sont descendues dans les rues en décembre 2011 [5] pour exprimer leur forte indignation face à cet incident (l’incident du soutien-gorge bleu), car c’est totalement inacceptable, nous scandions “ les filles sont la ligne rouge, pas les militaires ”. Nous avons été critiquées et dénoncées par la responsable du secrétariat du comité des femmes du parti Liberté et Justice (le nouveau parti de la confrérie des frères musulmans), Dr Manal Abu El Hassan. Elle a déclaré : “ Pourquoi ces femmes dans la rue expriment leur indignation ? Pourquoi n’ont-elles pas leurs maris, fils et frères qui s’expriment en leurs noms ? ”, ce qui est choquant. Elle travaille dans un parti politique et elle nous critique. Cela n’augure rien de bon pour l’avenir (si elle transmet les idées des frères musulmans qui aujourd’hui ont la plus forte présence au parlement). De plus, quand les islamistes ont gagné la majorité au parlement, j’ai discuté avec quelqu’un du parti Liberté et Justice ; elle m’a dit : “ Ne vous inquiétez pas nous sommes tous pour les droits des femmes, nous encouragerons les femmes à intégrer le marché du travail, nous n’imposerons pas le voile aux femmes ”. Elle a essayé de me rassurer. Puis j’ai essayé de parler avec elle des mutilations génitales féminines, car je savais qu’il y avait un débat houleux sur ce sujet au parlement. Donc quand je l’ai interrogée sur les mutilations féminines, elle a dit : “ Ce sera à un docteur de décider ”. Cela m’inquiète énormément, car les mutilations génitales féminines ne sont même pas des pratiques de l’Islam. Les chrétiens d’Égypte excisent les filles aussi. Donc c’est positif et négatif. Positif, car les femmes sortent maintenant, elles se sentent importantes. Négatif, car elles trouvent sur leur chemin l’armée, l’État et le courant islamiste. Nous sommes dans une société patriarcale conservatrice. Beaucoup estiment que les femmes n’ont rien à faire en politique. Pour que les femmes puissent avancer, c’est aux hommes de changer d’attitudes. Les tests de virginité effectués sur des manifestantes, l’ont été pour les humilier et les briser. Ce que j’ai eu comme réponse des généraux de l’armée : “ De toute façon que faisaient-elles là-bas ? ”. C’étaient des jeunes femmes qui campaient sur Tahrir. J’ai dit que c'est ce qui importait le plus. Q : Où étiez-vous quand vous avez entendu l’annonce de Moubarak et qu’en avez-vous pensé ? J’écoutais les nouvelles à la maison. Je suis restée sur Tahrir du 3 février au 11 février 2011. Je venais juste de rentrer à la maison pour me changer quand la nouvelle du retrait de Moubarak est tombée. Je suis retournée immédiatement sur la place (rires). J’ai passé mes journées sur la place Tahrir, mais je n’ai pas dormi sur place. Je rentrais à la maison tous les soirs pour dormir et me doucher. Vous savez, j’étais administratrice en chef de Nile TV et j’ai démissionné le 2 février 2011 (le jour de la “ bataille des chameaux ”), car ils n’avaient pas incorporé cet évènement important dans les nouvelles sur Nile TV. Ils m’ont donné à lire les nouvelles, j’ai dit qu’il n’y avait aucune mention de la “ bataille des chameaux ”. Je l'ai juste vue sur la chaîne Al Arabiya et ils ont dit : “ nous avons des instructions claires de ne pas en parler, tu n’oserais tout de même pas défier ça ”. Ils ont également refusé de me donner une caméra pour aller couvrir les manifestations sur Tahrir. C’est comme cela que j’ai pris ma décision. Si je ne peux pas raconter au monde entier l’histoire qui s’écrit chez moi. En tant que journaliste, j’avais les mains liées, je ne pouvais en faire état, j’ai donc démissionné. Je me suis sentie libérée. Le deuxième jour, j’étais sur Tahrir où tout se passait pour obtenir des témoignages sur l’histoire en marche. Q : Pourquoi avez-vous démissionné de Nile TV ? J’ai démissionné à cause de la couverture journalistique déformée offerte par Nile TV. J’ai démissionné parce qu’ils diffusaient une propagande mensongère insinuant que la jeunesse sur Tahrir était des agents étrangers. En insinuant qu’il y avait une ingérence étrangère, cela encourageait la violence, l’instabilité. Je n’ai été à l’antenne qu’une journée pendant la révolution et je ne pouvais le supporter. Ils me donnaient à lire des communiqués de presse venant du ministère. Je ne pouvais tout simplement pas être d’accord avec ce que la télévision d’État diffusait. J’avais l’impression de commettre un suicide professionnel en restant sur la chaîne d’État. J’aurais perdu ma crédibilité si j’avais fait ce qu’ils me demandaient. J’avais travaillé si fort et si longtemps en essayant dans la mesure du possible d’être impartiale. Le fait de diffuser en anglais nous donnait cette liberté. C’est différent des chaînes arabes. Nous avions plus de liberté parce que la majorité des gens ne regarde pas les nouvelles en anglais. Je suis retournée sur Tahrir pour fêter ça. L’euphorie nous a envahis quand nous avons appris qu’enfin Moubarak se retirait. J'ai fêté toute la nuit. Q : Comment avez-vous vécu ce moment ? J'ai eu l'impression d'avoir ma propre révolution dans ma vie. Ma vie allait de travers depuis la révolution. Je pensais qu'en démissionnant s'en était fini de ma carrière de journaliste et que j'aurais une vie calme. Au contraire, cette dernière année fut une année de bouleversements émotionnels, des hauts et des bas. En une minute, nous vivions une victoire, par exemple lorsque j'ai obtenu ce scoop où le général a pour la première admis qu'ils avaient (l'armée égyptienne) réalisé les tests de virginité. J'étais également la seule journaliste a avoir un contact avec le blogueur Maikel Nabil [6] en prison. J'ai été autorisée à l'interviewer en prison au 43ème jour de sa grève de la faim et c'était aussi son 26ème anniversaire. Ainsi, j'ai vécu des moments très excitants, mais également des moments d'extrême désespoir, quand nous avons eu le sentiment de nous faire voler notre révolution. La raison est qu'après un an aujourd’hui , nous avons l'impression que le même régime est toujours en place et nous voyons le risque : les femmes perdent les gains acquis dans ce pays. Beaucoup de personnes dans ma vie ont été affectées par tout cela. Q : Comment la révolution a-t-elle changé votre vie ? Depuis la révolution, je suis devenue une journaliste free-lance. Je suis toujours présente sur la scène locale, mais je me fais aussi entendre à l'international. J'ai écrit pour CNN, pour Index sur la censure, pour des blogs et je me suis fait entendre. Je suis intervenue dans des conférences à travers le monde sur le Printemps arabe. Je me sens libérée, car le monde est mon terrain de jeu et maintenant j'ai une reconnaissance internationale. Avant, je crois que j'étais plus une journaliste implantée localement. Je me suis ouverte à un nouveau monde mais c'est aussi un grand défi. La chose la plus importante : c'est que j'ai vaincu ma peur. Je n'ai pas grandi ici, c'est pour ça que je n'étais pas réprimée comme mes collègues au départ. J'ai toujours franchi la ligne rouge dans mes reportages, même sous Moubarak. J'étais la première à aborder des questions tabou. J'étais la première à couvrir les réfugiés soudanais massacrés sur la place Tahrir au Caire. J'étais la première à mettre en avant le tabou des mutilations génitales féminines et à en parler dans mon documentaire récompensé d'un prix, quand personne n'en parlait. J'ai également parlé des Coptes et des heurts confessionnels. Puis, j'ai interviewé les frères musulmans quand ils étaient interdits sous le régime de Moubarak. À cette époque, il y avait des gens du ministère de la sécurité qui me surnommaient l' “ anti-Égyptienne ” , car si vous n'êtes pas pro-régime, vous êtes contre l'État. Parce que j'ai interviewé Mohamed Morsi (des frères musulmans) en 2010, quelqu'un m'a présentée sous le nom de « Shahira l'anti-Égyptienne ”. J’ai toujours été audacieuse, et encore plus maintenant, parce que j’ai le sentiment que j’aurais peut-être été plus frileuse sous Moubarak à dévoiler une histoire sur les tests de virginité. C’est une nouvelle liberté pour moi. J’étais déjà libre d’une certaine façon, mais je le suis encore plus aujourd’hui. Il y a moins de peur. (lire la suite à droite) |
Shahira Amin a démissionné de Nile TV pendant la révolution
Le vidéo-clip ci-dessous met en lumière les évènements entourant la démission de Shahira de Nile TV.
Maintenant, il y a une détermination à continuer à dire la vérité pour défier les autorités, pour les rendre responsables. Je crois que la révolution a provoqué cela, ça m'a encouragée à aller plus loin.
Même quand je reçois des menaces de mort, je me dis : “non, c’est ma mission dans la vie, si je meurs, c’est le prix a payer.” Je vois les jeunes révolutionnaires mettre leurs vies en danger sur la place Tahrir et je me sens honteuse qu'à 52 ans je puisse avoir peur. Q : Croyez-vous que les Égyptiennes auront plus ou moins de droits suite à la révolution ? Je pense que l'impulsion lancée à Tahrir est irréversible. Le fait que les femmes soient descendues dans la rue montre qu’elles ont refusé d'être mises à l'écart. Je peux le ressentir : ce sont des femmes de domaines différents, de parcours différents, de religions et d'idéologies différentes. Je peux dire que les femmes sont déterminées à continuer cette lutte, mais ce ne sera pas facile, parce que de l'autre côté nous avons les islamistes. Nous ne savons pas au final qui écrira la constitution. Ils veulent conserver l'article 2, ce qui veut dire que la législation sera tirée de la sharia, qui je pense traite les femmes comme des citoyennes de seconde classe en matière de divorce et d'héritage. Je pense que la révolution avait pour but la mise en place d'un état laïc civil, mais ils ont déjà abandonné les quotas qui réservaient 68 sièges de parlementaires pour les femmes (sous le régime de Moubarak). Ils appellent également à l'abolition du décret en santé qui criminalise la mutilation génitale féminine. C'est catastrophique, car cette procédure marque à vie physiquement et psychologiquement les femmes. La raison est que c'est un décret de l'ère Moubarak et il impose des valeurs étrangères à l'Égypte. Il y a quelques gains pour les femmes, mais à l'heure actuelle nous sommes inquiets, car nous assistons à une attaque sur des organisations de la société civile et ce sont celles qui font pression pour une plus grande égalité pour les femmes. Et maintenant ces ONG étrangères [7] adoptent une position attentiste, parce qu'elles ont peur. Elles travaillaient sur le harcèlement sexuel, sur la violence conjugale, sur des opportunités en matière d'éducation pour les filles, sur l'autonomie économique des femmes, mais maintenant en raison de ses attaques sur les ONG de la société civile, nous ne savons pas ce qui va se passer. Il y a beaucoup d'inquiétudes. Il est indéniable que les femmes ont cela en elles, elles veulent continuer la révolution, mais le courant est contre elles. Q : À votre avis, quels sont les facteurs qui contribuent au ralentissement du développement des femmes en Égypte ? La culture. C'est un pays conservateur dominé par les hommes, qui repousse les femmes. La culture est un grand obstacle. Il y a des normes sociales profondément enracinées et des traditions qui ne changeront pas du jour au lendemain. Elles sont ancrées dans la société, cela prendra du temps à changer. Il y a de nombreux stéréotypes. En Égypte, le rôle de la femme est vu d'une certaine façon. Elles peuvent être professeures et journalistes, mais on ne les imagine pas en politique. La réalité sur le terrain est différente. Chez les plus défavorisés, beaucoup de femmes sont le financier soutien de famille. Ces visions ne peuvent changer uniquement que par l'éducation et par des campagnes médiatiques de sensibilisation. Nous devons travailler beaucoup plus sur les hommes. Si un homme ne veut pas épouser une femme qui n'est pas excisée, alors les filles voudront être excisées. Q : Avez-vous été harcelée et pourquoi à votre avis il y a du harcèlement sexuel en Égypte ? Pas une seule femme en Égypte n'a pas souffert de harcèlement d'une façon ou d'une autre, qu'importe l'âge ou la façon de s'habiller. D'une façon ou d'une autre, nous subissons des abus verbaux, des attouchements, particulièrement si vous utilisez les transports publics. Quand je suis dans l'ascenseur, à chaque fois quelqu'un essaie de me toucher, je leur donne un coup de poing, c'est un réflexe. Il y avait de très grandes attentes de la révolution, mais elles ne sont se pas matérialisées, les gens sont donc en colère. Q : Quelqu'un comme vous, est-elle plus harcelée ? Oui, car le harcèlement a à voir avec la colère, la frustration sexuelle, politique et économique. Sur le plan économique, les hommes nous voient comme des concurrentes, ils veulent nous voir retourner à la maison. Ils veulent garder les emplois pour eux. Quand j'étais étudiante à l'université américaine du Caire à la fin des années soixante-dix, il y avait beaucoup moins de harcèlement. C'était également fait de manière plus subtile, comme un commentaire qui vous faisait même sourire. À cette époque, j'allais en short à l'université sans aucun problème. Maintenant, vous ne voulez pas que les gens vous regardent. Vous devez vous couvrir. Vous ne voulez pas vous reprocher de ne pas vous être habillée convenablement et de finir par avoir été harcelée. Q : Qu'est-ce qui a changé ? C'est arrivé avec les Égyptiens partis travailler dans les pays du Golfe en raison du boom pétrolier. À leur retour : ils ont introduit le wahhabisme en Égypte, Moubarak a laissé faire et l'a encouragé. Ils ont importé cette culture. Nous, le peuple égyptien, avons toujours été un peuple modéré. Avec les chaînes satellites saoudiennes infiltrant notre espace, lavant le cerveau des gens, ils s'intéressent à tous les aspects de votre vie, de comment cuisiner un poulet à par quel pied entrer dans votre maison, des choses ridicules. Parmi tout cela, il y a aussi les menaces de mort proférées aux danseuses du ventre. Ils ont peur d'elles. Ils leur donnent une tonne d'argent pour qu'elles restent chez elles. Ils les font renoncer à leur profession. Maintenant, nous avons seulement des danseuses étrangères. Ils imprègnent notre culture : les médias et les Arts. Doucement, mais sûrement, ils grignotent notre culture. Il est bon d'avoir des programmes de sensibilisation concernant le harcèlement, mais je ne considère pas cela comme une solution. La solution est la rééducation, en particulier pour les hommes. Les faire réfléchir : “ Si c'était votre soeur, votre femme, voudriez-vous qu'elle soit traitée de cette manière ? ” Mais il faut également enseigner aux femmes comment se protéger. Q : En Égypte, les femmes sont toujours soumises à la mutilation génitale féminine. Pensez-vous que la révolution aidera à avancer sur des sujets comme celui-là ? Je suis vraiment inquiète. C'était une petite victoire personnelle quand nous avons fait passer cette loi (contre les mutilations génitales féminines). J'étais allée dans tous les villages avec les militants quand il y avait des réunions. Les villageois sortaient pour signer. Quand cela a commencé au milieu des années quatre-vingt-dix, le taux de mutilations était tellement haut : 96 % des Égyptiennes étaient excisées. On a réussi en quelques années à faire baisser ce chiffre à 74 %, ce qui reste toujours incroyablement haut. Si nous ne continuons pas ces campagnes de sensibilisation, si la loi est abolie, je crains qu'il y ait plus de décès, plus de souffrances psychologiques, plus de complications. La vie est totalement chamboulée quand une fille est dépossédée d'un don de Dieu par les hommes. Nous devons continuer le combat et faire comprendre à la population que ce n'est même pas une tradition islamique. Ce n'est pas pratiqué en Arabie Saoudite ou au Yémen. C'est pratiqué dans des pays africains subsahariens. Nous devons utiliser des arguments tels que : “ Le Prophète n’excisait pas ses filles. Ce n'est pas dans le Coran ”. Les campagnes de sensibilisation doivent être orchestrées par des dignitaires religieux et de la communauté (quelqu'un en qui la population ait confiance), parce qu'actuellement ils sont tous sceptiques sur le programme étranger, sur les valeurs étrangères que Suzanne Moubarak a essayé d'imposer. Q : Quelles actions les femmes doivent prendre afin d'acquérir du pouvoir politique et plus de place dans la société ? Les médias doivent faire passer les bons messages sur les femmes et pas des stéréotypes. L'éducation est également très importante, car l'égalité de droits entre les garçons et les filles, c'est quelque chose que vous enseignez à l'école. Les programmes sur les femmes ont été enterrés. Les femmes ont besoin d'être informées sur leurs droits. De nombreuses Égyptiennes ne savent rien de leurs droits. C'était le rôle de la société civile : éduquer la population concernant ses droits, mais les leaders actuels ont dit que cela attisait les troubles. Les ONG, qu'ils ont fermées, étaient des ONG dédiées à la démocratie et aux droits humains. Nous nous trouvons dans une situation très compliquée. Ça sent pas bon. Nous sommes à la croisée des chemins, mais je suis toujours optimiste. Les filles sont plus sérieuses à cause de l'éducation. S'il n'y a pas assez de nourriture, c'est aux garçons d'en trouver. Dans les familles défavorisées, les garçons sont dorlotés. Les filles sont responsables des corvées ménagères et de leurs frères et soeurs. Ce sont des choses que j’ai vues de mes propres yeux. Elles sont privées de leur enfance et elles passent en dernier (après leurs frères), cela les rend plus fortes. Je vois les femmes comme les futures leaders de ce pays. [1] http://en.wikipedia.org/wiki/Asmaa_Mahfouz [2] La fille au soutien-gorge bleu est une manifestante qui a été battue et dont les vêtements ont été arrachés par les policiers au Caire en décembre 2011 ; cela fut filmé et montré à travers le monde. Cette image de soutien-gorge bleu est maintenant une icône qui symbolise les mauvais traitements infligés aux Égyptiennes pendant la révolution. Pour plus d'informations : http://muftah.org/beating-a-female-protestor-in-cairo/ [3] http://en.wikipedia.org/wiki/Bothaina_Kamel [4] http://en.wikipedia.org/wiki/Nawara_Negm [5] http://www.aljazeera.com/news/middleeast/2011/12/20111220132113595450.html [6] http://en.wikipedia.org/wiki/Maikel_Nabil_Sanad [7] http://www.globalintegrity.org/blog/egypt-ngo-funding |