Shahinaz Abdel Salam“ Je conseille à toutes les filles en Égypte de vraiment continuer jusqu’au bout les études et d’avoir un travail, c’est le seul moyen pour se sauver d’un destin imposé par la société et par la famille. ” Shahinaz est une ingénieure informatique et une célèbre blogueuse. Elle a écrit un livre, " Égypte, les débuts de la liberté ", dans lequel elle dépeint son parcours de militante et de femme égyptienne. |
Depuis son plus jeune âge, elle se rebelle contre l'ordre établi. Elle est optimiste quant à l'avenir de l'Égypte “le peuple égyptien aura le dernier mot. Le processus est en marche, la patience est la mère de toutes les vertus», dit-e Blog : http://wa7damasrya.blogspot.ca/ Twitter : @Wa7damasrya Facebook : https://www.facebook.com/Shahinaz.abdelsalam Publication : " Égypte, les débuts de la liberté ", paru aux Éditions Michel Lafon |
Entrevue
Interviewée en français au Caire le 9 avril 2013 par Anthony Le Parc.
Q : Votre implication en politique en Égypte a commencé bien avant 2011. Pouvez-vous me résumer votre parcours de militante avant les évènements de 2011 ? Je ne me rappelle pas la date, mais ça a commencé dès ma jeunesse. J’ai grandi dans une famille très traditionnelle, religieuse. Les filles, comme toutes les Égyptiennes, n’avaient pas le droit de trop parler, il fallait toujours dire oui, il fallait tout accepter, ne jamais dire ce que nous pensions, nous ne disions jamais non, car ce n’était pas poli. La liberté d’expression ça n’existait nulle part, ni à la maison ni à l’école. J’avais beaucoup de questions dans la tête, je voyais des choses et je me disais qu’il y avait un problème. J’ai commencé à poser des questions dès mon plus jeune âge : j’avais 14 ans lors de mon premier acte de protestation. Nous habitions à Alexandrie et mon balcon donnait en face de la mosquée, il y avait le haut-parleur et j’écoutais tous les prêches du vendredi, tous les discours des imams. Un vendredi, j’ai entendu l’imam de la mosquée parler des femmes, c’était horrible, c’était des choses très dures : il expliquait que le prophète était parti pour visiter l’enfer et le paradis, en enfer il n’y avait que des femmes ; elles étaient suspendues par les cheveux parce qu’elles ne portaient pas de voile, par les seins parce qu’elles ne couvraient pas leurs corps de façon décente, par la langue parce qu’elles parlaient mal à leurs maris. J’écoutais tout cela et j’étais très triste, je pense même avoir pleuré. Pourquoi irais-je en enfer, parce que je suis une femme, parce que je ne porte pas le voile ? Je me suis dit que Dieu ne pouvait pas avoir dit cela. Il n’y avait pas Internet à cette époque ; j’ai cherché dans les livres que nous avions à la maison, il n’y en avait pas beaucoup, un livre sur l’interprétation du Coran, mais rien dedans ne contredisait les propos de l’imam. J’ai tout de même écrit une lettre à l’imam. Je lui disais que je ne le croyais pas, que je n’étais pas sur terre pour terminer en enfer... Puis, j’ai remis la lettre au gardien de la mosquée. J’ai eu l’impression que, deux semaines plus tard, l’imam était moins dur à l’encontre des femmes, je ne sais pas si ma lettre a eu une quelconque influence sur lui. Ce fut mon premier acte de protestation. À 17 ans, je suis allée à l’université. Il faut savoir qu’en Égypte, il n’y avait pas vraiment de partis politiques, il n’y avait rien, aucune liberté d’expression. À l’université, j’ai participé avec les Frères musulmans à des manifestations pour la Palestine. Mes amis et collègues trouvaient cela bizarre, car j’étais la seule fille sans voile et devant avec les garçons, car dans les manifestations des Frères musulmans les garçons sont en tête de cortège et les filles en arrière. Les hommes ne pouvant pas m’adresser la parole, car je suis une fille et que je ne porte pas le voile, c’était les filles qui me tiraient pour me ramener derrière avec elles. Pour les hommes, une fille est de toute façon provocante quoiqu’elle porte, une fille est un pêché. Je répondais aux filles : « non, je ne retourne pas , vous êtes déjà derrière et vous n’avez pas le droit de dire des slogans (la voix de la femme est provocante) ». Et un des leaders est venu, il donna l’autorisation aux femmes de dire des slogans. J’ai pris cela comme une victoire, je suis retournée avec les filles pour les encourager. Elles avaient comme honte à faire entendre leurs voix. Quelques filles ont eu le courage de le faire (scander des slogans). Par la suite, j’ai essayé de militer, de trouver une voie. Mais c’était très difficile d’agir politiquement pour les femmes à l’époque de Moubarak. J’avais bien un site web pour écrire mes opinions au tout début, mais le site ne fonctionnait pas trop. C’était fatigant de gérer cela techniquement, ce n’était pas très accessible à l’inverse de Google. J’ai vraiment commencé quand j’ai créé mon blog, j’ai commencé à écrire, j’avais enfin trouvé un outil pour m’exprimer. En 2010, j’étais chez Google et je les ai remerciés, j’ai écrit sur leur tableau : « merci pour blogspot ». C’est un service qui nous a beaucoup aidés, il y avait un problème en Égypte et nous voulions changer tout ça. Nous étions de très nombreux blogueurs à commencer au même moment. Notre réseau était vraiment très fort. Nous n’avons jamais créé de groupe sous forme pyramidale, tout se faisait en réseau. Nous travaillions tous pour un même but. Pendant toute cette période, j’étais à Alexandrie. J’étais mariée, puis j’ai divorcé. Le mariage n’a pas été une expérience très agréable, c’était un mariage arrangé. Je ne voulais pas de ce mariage. À l’âge de 21-22 ans, les pressions commencent. Mes sœurs se sont mariées à cet âge. Quant à moi, j’avais 25 ans. C’était trop long pour toute la famille, ils m’ont arrangée le mariage. Mais j’ai repris la résistance et j’ai divorcé. C’était le moment pour moi de laisser Alexandrie et mes parents, je voulais avoir ma vie. Jusqu’à ce moment-là, j’ai vécu avec des choix qui ont été faits pour moi sauf pour mes études. Heureusement que j’avais un bon diplôme, ce qui m’a permis de trouver un bon travail au Caire et de partir. J’ai pu avoir mon propre appartement, j’étais indépendante financièrement : c’est ce qui m’a sauvée. C’est pour cela que je conseille à toutes les filles en Égypte de vraiment continuer jusqu’au bout les études et d’avoir un travail, c’est le seul moyen pour se sauver d’un destin imposé par la société, par la famille. Je suis donc arrivée au Caire et je me suis trouvée. Au Caire, il y avait tout ce que je cherchais. Avec les autres militants, nous étions tout le temps dans la rue. J’étais sur mon blog. J’étais membre du mouvement Kefaya, « ça suffit ». Beaucoup d’Égyptiens en faisaient partie, ils souhaitaient le départ de Moubarak. Donc on dit « dégage » depuis 2004. Nous étions une vingtaine de blogueurs et nous essayions de mobiliser les jeunes. Nous utilisions les traditions égyptiennes pour nous moquer de Moubarak, pour dénoncer les crimes de son régime. De 2005 à 2006, le pouvoir ne s’intéressait pas à nous, il ne nous prenait pas au sérieux. À partir de 2006, il a vu que nous pouvions mobiliser beaucoup de jeunes, jusque sur la place Tahrir, nous n’étions qu’une cinquantaine de personnes la première fois. Mais le pouvoir a pu voir que de plus en plus de jeunes s’intéressaient à ce que nous disions, lisaient nos blogs. C’est à partir de ce moment que les menaces et les arrestations ont commencé. Je ne voulais pas que mes parents sachent ce que je faisais, ils voyaient cela comme un problème. Mais malheureusement, j’étais dans les médias. Ils m’ont vue pour la première fois sur la chaîne Al Jazeera. Ils furent très choqués de le découvrir, je parlais contre Moubarak sur une chaîne qui a beaucoup d’audience. Les problèmes ont commencé avec eux. Je les ai visités la fin de semaine suivante et ils ne voulaient pas que je retourne au Caire, ils m’ont enfermée. J’ai dû promettre d’arrêter mon militantisme politique, et bien sûr je ne l’ai pas fait. Ils avaient peur pour moi. Mon père est un général de l’armée et il m’a dit : « je ne peux pas te protéger s’ils t’attrapent. Tu as dépassé les limites, tu parles sur Moubarak ». Je n’avais aucun soutien de mes parents ou de ma famille, même mes cousins me voyaient comme la folle. Les seules personnes qui me soutenaient c’était les militants, eux aussi avaient des problèmes avec leurs familles. Q : Vos rapports avec votre famille sont-ils toujours compliqués ? Non, ça a changé depuis 2011. Je suis rentrée en Égypte le jour de la chute de Moubarak, je n’ai pas pu rentrer avant, et le lendemain je me suis rendue à Alexandrie. Pour la première fois, mon père m’a dit : « apparemment tu avais raison ». J’étais contente et la situation est plus calme entre nous. Les gens posent un autre regard sur moi, je ne suis plus la folle (rires). Q : Votre vie a-t-elle changé depuis deux ans ? Par rapport à la famille oui. Ce qui se passe en Égypte c’est quelque chose qui continue. Nous avons commencé en 2004 et on continue la révolution, ce n’est pas fini. Nous avons rêvé d’une Égypte avec une démocratie, avec l’égalité pour tout le monde, avec la liberté d’expression pour tous les Égyptiens, et nous ne les avons pas encore. Il faut de la patience. Une partie de ce que l’on a demandé, on l’a eu : les têtes du régime Moubarak, mais pas tout le régime. Pour moi, tous les leaders des Frères musulmans, Morsi inclus, font également partie du régime Moubarak. Morsi était député au parlement entre 2000 et 2005, il fait partie de ce régime. Tous les leaders des Frères musulmans étaient complices avec Moubarak. Je pense que ce sont eux qui ont retardé le grand évènement qui s’est passé en 2011. Combien de fois leur avons-nous demandé de se joindre à nous dans des mobilisations, le 6 avril 2008, le 25 janvier 2009-2010 ? Et en 2011 ça a marché ; mais les Frères musulmans étaient toujours absents, car ils soutenaient le régime. L’ancien guide des Frères musulmans en 2009 avait dit qu’il n’y avait aucun problème que le fils de Moubarak soit président, qu’il soutenait Moubarak, que Moubarak était le père de tous les Égyptiens. Moubarak voulait montrer à l’Occident qu’il était le seul à pouvoir contrôler ce groupe des Frères musulmans, mais il ne représentait pas un danger pour lui. Ils ont été arrêtés pour d’autres causes : en 2005, le pouvoir a conclu un accord avec les Frères musulmans pendant les élections législatives pour qu’ils ne se représentent pas dans toutes les régions, les Frères musulmans n’ont pas respecté l’accord avec Moubarak, et c’est à ce moment-là que le pouvoir les a mis en prison. Dans les dix dernières années, c’était toujours pour des conflits d’intérêts. Économiquement, il les a laissés grandir, alors qu’ils n’avaient aucun statut légal. Pendant trente ans, Moubarak a laissé les Frères musulmans prendre beaucoup de place et s’enrichir. S’il avait vraiment voulu les interdire, il aurait agi autrement. Ils avaient des intérêts économiques en commun. Je les vois comme des amis, des alliés du régime de Moubarak. On peut représenter ce régime par un triangle : Moubarak et sa famille, les dirigeants de l’armée et les dirigeants des Frères musulmans. Q : Le rôle des médias sociaux fut important pendant la révolution. Vous-même avez pratiquement 18 500 suiveurs sur Twitter (vous twittez uniquement en arabe). Les médias sociaux jouent-ils encore un grand rôle deux ans après la révolution en Égypte ? Je crois plus qu’avant. À l’époque de Moubarak, les gens qui parlaient de politique n’étaient pas très nombreux, le pouvoir laissait écrire ce que nous voulions, mais nous risquions de nous retrouver en prison. Après la révolution et surtout le 2 février 2011, quand Moubarak a fait un discours très touchant pour les Égyptiens, où il disait : « j’ai grandi en Égypte, c’est mon pays et je ne vais jamais le laisser, j’ai servi l’Égypte... », Facebook a été un espace de débat entre les Égyptiens. (lire la suite à droite) |
C’était la première fois que je voyais les Égyptiens parler et discuter. Ce n’était pas juste des insultes, il y avait un bon niveau. Après, cela s’est amplifié, et aujourd’hui le débat entre les Égyptiens se fait sur les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter et plus vraiment sur les blogs. Un des acquis de la révolution c’est d’avoir cassé la peur, c’est cette liberté d’expression, même si l’armée et les Frères musulmans l’attaquent. Ils sont contre la liberté d’expression. Mais les Égyptiens y ont goûté et ils ne vont pas lâcher cela. Ils n’ont plus peur, ils continuent de s’exprimer. J’ai vu un changement de mentalités dans la population, je vois la différence avec avant. Je suis optimiste, c’est un processus en marche, cela va prendre du temps. Les Frères musulmans c’est comme un cancer et on le traite avec de la chimiothérapie. Q : Vous avez signé avec sept autres femmes l’appel pour la dignité et l’égalité le 8 mars 2012. Les droits des femmes ont-ils toujours fait partie de votre combat ? Quand j’ai commencé à militer politiquement contre le régime, je n’ai jamais agi en tant que femme. Dans ma tête, je ne me disais pas que je luttais pour les femmes, mais je luttais pour tous les Égyptiens. Dans ma vie personnelle, j’ai vécu des choses que la plupart des Égyptiennes ont vécues : la pression, le mariage arrangé, le harcèlement sexuel. J’ai lutté contre cela. Après les évènements de 2011 (la révolution a commencé bien avant), j’ai senti que c’était le temps de mettre en lumière la question des femmes égyptiennes plus qu’avant. Le 13 février 2011, deux jours après la chute de Moubarak, il y a eu une conférence de presse et aucune fille n’y participait, tous les médias internationaux étaient présents. Je suis restée avec les hommes devant les médias. Après la conférence, j’ai parlé avec les hommes et je leur ai demandé pourquoi aucune fille n’avait été invitée. Ils m’ont répondu qu’ils avaient choisi une, qu’elle était Copte et qu’elle servait de décor. Cette réponse m’a terriblement énervée, car ce sont des hommes avec qui nous avons lutté, avec qui nous sommes allées en prison. Maintenant, ils pensent que les femmes doivent se mettre de côté et qu’ils vont tout gérer. Cette situation était inacceptable, moi et une autre fille avons engueulé nos camarades devant tout le monde. On leur a mis de la pression et ils ont commencé à prendre des filles avec eux. J’ai vu qu’il y avait vraiment un problème, et je savais que la question de la femme c’était très profond, que ça venait de loin et que ça existait depuis longtemps. Ce qui s’est passé en 2011 ne va pas changer les mentalités par rapport à la femme égyptienne. Sur Tahrir en 2011, j’ai pris mon appareil photo, j’ai essayé de m’entretenir avec tous les hommes sur place pour savoir s’ils pouvaient imaginer une Égyptienne présidente, et la réponse était toujours la même : « non impossible, c’est elle qui fait les enfants, qui les éduque, elle ne va pas prendre de bonnes décisions ». Ils reconnaissaient que les femmes s’étaient battues à leur côté, qu’elles avaient jeté des pierres, qu’elles avaient respiré les gaz lacrymogènes, mais une femme ne peut pas être présidente, elle doit rester à la maison. Un d’entre eux m’a dit qu’une femme pouvait éventuellement être la ministre des femmes et des enfants. La mentalité égyptienne est formée par un discours religieux qui est anti-femmes et contre les Coptes. Je savais que ce n’était pas la chute de Moubarak qui allait changer tout cela. Le 8 mars 2011, les femmes qui sont descendues sur la place Tahrir ont été battues par des Égyptiens dans la rue, ils leur disaient qu’elles étaient occidentalisées, qu’elles voulaient que les femmes fassent ce qu’elles veulent. Elles ont été insultées et frappées. Depuis les femmes égyptiennes se sont mobilisées d’une façon incroyable. On l’a vu pendant les élections, pendant tous les référendums, ce sont les femmes qui sont venues voter. En 2012, nous avons créé le premier mouvement populaire des femmes égyptiennes, nous l’avons appelé behaya behaya la belle illuminée, c’est une référence à l’Égypte, cela vient d’une chanson populaire qui parle d’une femme qui s’appelle behaya et c’est l’Égypte. Dans ce mouvement, on retrouve des femmes égyptiennes ordinaires, qui se mobilisent et descendent dans la rue. Le 8 mars 2013, nous étions très nombreuses, c’était très impressionnant. Il y avait des hommes et j’ai croisé un collègue qui travaillait avec moi jusqu’en 2010, je lui ai dit : « toi, tu descends dans une manifestation et pour les femmes ? ». Il y a vraiment un changement. Et c’est également vrai en ce qui concerne le crime du harcèlement sexuel. Les femmes le subissent depuis la fin des années 70. Sur la place Tahrir en 2011, cela a augmenté. Le harcèlement en groupe existait déjà : un groupe d’hommes encerclant une fille et la harcelant sexuellement. Nous l’avons constaté depuis des années. En 2006, un blogueur a filmé ce phénomène et l’a mis en ligne. Tout le monde fut choqué. Depuis 2011, Tahrir est devenue un endroit symbolique, important. Malgré le harcèlement dont ont été victimes les femmes militantes, elles ont continué à descendre dans les rues. Cela a donné un message fort, pas seulement à l’État, mais aussi au peuple égyptien. Si les femmes continuent ainsi, nous allons réussir à changer. Q : Pensez-vous que le harcèlement sexuel est uniquement dû à la frustration sexuelle des hommes ? Je refuse que l’on dise que c’est une frustration sexuelle. Le harcèlement vient de toutes les classes : riches, pauvres, mariés (même avec trois ou quatre femmes), pas mariés. Quand j’ai posé la question à des garçons, « pourquoi tu fais ça ? », ils me répondaient : « je suis un homme, je dois faire ça, et tous mes amis le font. Si je ne le fais pas, ils vont penser que je suis gay », « les filles le méritent, celles qui descendent dans la rue essaient de prendre nos places », ou « les filles s’habillent comme ça, elles passent devant moi et elles me provoquent ». Ce sont des réponses avec beaucoup de haine. J’ai demandé, à celui qui m’avait répondu qu’elles le méritaient, s’il ressentait du plaisir en faisant cela, il m’a répondu : « pas du tout, elles le méritent simplement, je veux les faire chier ». Je vois cela comme une maladie, cela n’a rien à voir avec le sexe. L’homme égyptien veut contrôler la rue, la rue est à lui, il a le pouvoir dans la rue, et il faut le montrer. En Égypte, c’est une maladie que l’on n’a jamais essayé de comprendre ; pourquoi et quand ça a commencé ? Il faut absolument le faire. Il faut des sociologues pour étudier ce comportement, cette maladie. Les femmes égyptiennes en souffrent, c’est une souffrance de tous les jours. C’est insupportable. Je ne me suis jamais laissé faire, je jette des pierres et parfois je cours après la personne. L’homme a toujours peur quand il se trouve confronté à une telle situation. Q : Les politiciens égyptiens agissent-ils pour améliorer la situation des femmes égyptiennes ? Ils font très peu. Quand ils sont au pouvoir, ils ne font jamais assez, c’est une faute, je considère cela comme un crime contre les femmes égyptiennes. En ce qui concerne l’opposition, ils font très peu. Nous, les femmes, abordons le sujet avec eux. Mais ce qui est le plus important c’est de réveiller le peuple égyptien, et de faire changer la mentalité. Il faut plus de femmes en politique, et plus de femmes qui peuvent parler la langue des hommes politiques . Aujourd’hui, ils utilisent les interprétations qu’ils font de l’Islam pour nous attaquer. Nous avons besoin de femmes qui fassent la même chose. Des femmes font des interprétations féministes. Le peuple égyptien est un peuple qui est attaché à l’Islam ou à la Chrétienté ; si nous parlons avec un discours éloigné de la religion, nous ne pourrons jamais changer les choses. Il faut utiliser ce moyen. Je suis Égyptienne et je suis attachée à l’Islam, c’est important de trouver des réponses et les interpretations correctes. Je suis convaincue que les politiciens utilisent juste leurs interprétations, mais la base de la religion c’est la justice, l’égalité, la liberté. Je connais des femmes qui font des interprétations féministes, mais elles n’ont pas le courage de la confrontation. Il faudrait les pousser à parler. Nous avons la chance de ne pas être dans la situation de la Tunisie, où c’est la guerre entre les féministes laïcs et les féministes qui parlent de l’Islam. En Égypte, nous, les féministes, sommes assez proches les unes des autres. Nous avons le même but. Q : Vous êtes plutôt optimiste quant à l’avenir des femmes égyptiennes ? En fait, il y a maintenant un espace pour la liberté d’expression partout. Les Égyptiens se sont battus pour l’avoir, ce n’est pas l’État qui nous l’a donnée. Les Égyptiens ont cassé la peur et ont goûté à cette liberté d’expression. On la retrouve dans la rue, dans les médias, sur Internet. C’est très sain. Toutes ces interprétations des imams contre les femmes à la télé, c’est comme les égouts qui débordent, nous allons les nettoyer et par la suite ça ira. Pour prendre un exemple, j’avais une tante qui regardait souvent les imams salafistes qui parlaient à la télévision. Elle les adorait. Mais, quand ils ont commencé à parler de politique ouvertement, elle les a trouvés bêtes. C’est incroyable de constater comment elle a pu les mettre sur un piédestal et aujourd’hui elle a une position négative à leur encontre. À l’époque, ils ne donnaient pas leurs opinions, leurs discours étaient très religieux en référence aux versets du Coran, ils étaient très littéraires, très encadrés, car ils n’avaient pas la liberté d’expression. Ils étaient surveillés. Aujourd’hui, ils parlent librement, ils disent ce qu’ils ont dans leurs têtes, c’est à ce moment-là que l’on découvre leur ignorance, qu’ils ne sont pas très malins. Ils nous traitent comme des enfants. Je trouve cela très bien. Les femmes ne les écoutent plus, elles ont vu leurs vrais visages. Ce n’est plus l’imam sacré, qui parle de Dieu. Les imams sont juste des gens comme nous. De toute façon, le dernier mot appartient au peuple égyptien. |