Sara Naguib“Pour la première fois les femmes sont actives et s'attaquent à leurs propres problèmes” Sara Naguib est une activiste, blogueuse, et photographe amateur. Elle est impliquée en matière des droits des femmes et elle est également membre du parti socialiste Alliance . |
Sara est activiste depuis très longtemps activiste, elle était à l'extérieur du pays quand la révolution a commencé le 25 janvier, mais rentra précipitamment au Caire les jours qui ont suivi. Elle partage ses idées sur les évènements, les conséquences aussi bien que les origines, avec sa connaissance dans les médias sociaux. Twitter : @sara_sedrak |
Entrevue
Interviewée en anglais au Caire le 26 mars 2012 par Tatiana Philiptchenko.
Traduction et adaptation vers le français par Anthony Le Parc. Révision et correction par Sonia Jane Fredj et Anthony Stéphan. Q : Où étiez-vous le 25 janvier 2011 ? J'étais à Doha au Quatar, je rendais visite à mon frère. J'étais en colère à cause de cette invitation qui circulait sur Internet concernant la révolution. J'avais pensé que ce serait une manifestation et non une révolution. J'ai entendu les nouvelles à la télévision à propos des manifestations du 25 janvier. À la fin de la journée, c'était devenu plus violent, la police tirait sur les manifestants et j'ai vu les gens se diriger vers la place Tahrir. Pour la première fois en Égypte, il y avait tellement de monde à participer aux manifestations. J'ai essayé de rentrer au Caire mais il n'y avait plus de place disponible sur les vols du 26 et du 27 janvier 2011. Et ensuite les lignes téléphoniques et les lignes internet ont été coupées. Je regardais tout le temps la télévision. J'ai décidé d'aider de l'endroit où j'étais avec mon réseau d'amis situés dans de nombreuses villes : nous traduisions les déclarations révolutionnaires en plusieurs langues et nous transmettions la documentation à de nombreuses organisations et syndicats. Finalement le 4 février 2011, je suis rentrée au caire. Je manifeste depuis 1994. J'ai étudié la sociologie à l'université et je fais partie d'un groupe gauchiste. En 2004 et 2005, j'ai rejoint le mouvement Kefaya. Quand je suis arrivée sur la place le 4 février, je suis restée bouche bée, je n'aurais jamais imaginé que cela puisse arriver. Je n'avais jamais vu autant de monde manifester en Égypte. J'ai découvert que tous les slogans de Kefaya étaient repris sur la place Tahrir. Jusqu'alors, les Égyptiens ne trouvaient pas le mouvement Kefaya assez fort pour le rejoindre. Mais quand ils l'ont rejoint, ils se sont souvenus des slogans ancrés dans leurs mémoires. J'ai commencé à tout enregistrer, car j'ai une très mauvaise mémoire et je ne voulais rien oublier. Je voulais enregistrer les raisons pour lesquelles les gens descendaient dans les rues. Des gens qui n'avaient jamais fait partie un groupe politique puisque le vieux régime avait détruit la plupart des syndicats et des groupes politiques. Soudainement, les gens ont découvert qu'ils n'étaient pas seuls. Les gens ont trouvé des milliers de personnes qui étaient préoccupées par les mêmes choses qu'eux. Alors les gens m'ont raconté des choses. Les gens m'arrêtaient sur la place et commençaient à me demander d'enregistrer ce qu'ils avaient à dire. Il y avait tellement de femmes parmi eux. Certaines de ces femmes menaient et étaient très libérales. Je me sentais très coupable parce que j'avais laissé mon pays au commencement de la révolution. Je n'avais pas de tente mais je suis restée sur la place. Mes amis et moi-même allions partout et parlions à tout le monde. J'ai rencontré des salafistes, des islamistes, des femmes très pauvres et des jeunes filles qui avaient quitté leurs maisons (c'était très étrange, car en Égypte vous n'avez pas le droit, en tant que fille, de dormir en dehors de chez vous), certains doivent se demander comment ces filles ont-elles pris une décision si courageuse de rester en dehors de chez elles. J'ai enregistré certaines de ces choses. Maintenant je regarde les enregistrements et les photographies et ça à l'air très romantique. J'ai vraiment eu l'impression d'avoir participé à la révolution bolchévique pendant ce laps de temps. Sur certaines photos vous pouvez voir que ces gens sont très pauvres mais ils s'expriment pour la première fois de leurs vies. Q : Un an après, la révolution a-t-elle eu un impact sur votre vie ? ou votre vie a-t-elle changé avec la révolution ? Ça a changé ma vie. 2008, 2009, 2010 étaient des années très difficiles pour l'Égypte. À cette époque, on avait l'impression que le régime avait gagné la bataille. Ils tuaient les manifestants dans les rues. C'était très déprimant. Le 31 décembre 2009, il y a eu une grande explosion dans une église d'Alexandrie et des centaines de personnes ont été tuées juste comme ça. C'était tellement déprimant. J'ai pensé que les Égyptiens ne changeraient rien à leurs vies. On avait l'impression que nos vies ne changeraient pas. On avait le sentiment que la corruption contrôlait tout, même les âmes des gens. Le 25 janvier 2011, nous sommes de nouveau revenus à la vie. Je ne veux pas paraître trop romantique mais nous avons soudainement eu cet espoir : nous étions à des kilomètres sous terre et nous nous sommes retrouvés à l'air libre. Les gens étaient conscients qu'ils étaient en plein marasme mais ils pensaient qu'ils pouvaient y remédier, et ils ont fait le premier pas pour que ça change. Nous assistions à un miracle. Pour moi, c'est une nouvelle vie. Pendant de nombreuses années, je n'ai jamais pensé que les Égyptiens bougeraient. Même après la révolution, beaucoup ont pensé qu'ils allaient sur la place et qu'ils obtiendraient le départ de Moubarak : cela signifiait que le régime était sur le point de changer. Ils avaient cette fausse idée. Mais, il ne faut pas oublier que durant 60 ans l'armée contrôlait tout le pays. Et les médias ne parlaient jamais de l'armée, car c'était un sujet tabou. Et pendant quelques mois, les gens pensaient qu'ils avaient changé le régime et donné le contrôle à l'armée. Ils ont commencé à briser ce tabou et l'idée d'un régime civil a commencé à germer dans la tête des gens. C'est un retournement de la destinée. Nous allions tout droit dans le mur et maintenant nous avons une chance de nous en sortir. Q : Pensez-vous ou espérez-vous que ce que vous avez enregistré et photographié fera une différence ? je ne sais pas quoi mettre Oui bien sûr. La mémoire est très importante pour que les gens aillent de l'avant. Pour se rappeler de ce que les gens voulaient quand ils sont descendus dans les rues. Et d'utiliser leur voix, afin qu'il en reste une trace. J'ai commencé simplement en photographiant, mais par la suite j'ai décidé de raconter les histoires des photos. J'ai eu le sentiment que j'avais besoin d'y ajouter la parole et de faire en sorte que les gens puissent raconter leurs histoires. À cette époque, les médias étaient entre les mains du régime depuis 60 ans. Les médias sociaux étaient l'autre outil, très important, pour atteindre d'autres personnes. Donc les médias sociaux ont été une partie importante de la révolution. Nous n'avons jamais changé ce que nous disions mais les nouveaux médias nous ont aidés à communiquer. Il est très important d'utiliser ces médias et d'enregistrer ce que les gens avaient à dire. Donc ce n'est pas à propos de moi, j'ai juste aidé à transmettre la parole. Q : La situation des femmes en Égypte actuellement est-elle mauvaise ou bonne ? Est-ce pire ou meilleur qu'avant la révolution ? C'est pire et meilleur en même temps. C'est mieux parce que c'est la première fois que nous voyons des femmes égyptiennes se déplacer et ne pas prêter attention à toutes les règles sociales et elles le font de manière neutre. Et elles bougent d'un point à un autre. Sur la place, vous voyez des femmes partout, elles exécutent des tâches importantes, travaillant comme docteurs et infirmières dans les cliniques. Ce n'est pas un travail facile. Les cliniques sont les endroits les plus dangereux sur la place Tahrir et ce sont des endroits déprimants. Après la première grève, les gens ont commencé à avoir leurs propres groupes politiques, un d'entre eux s'appelait “ Non aux tribunaux militaires ” ; la plupart des leaders et des activistes de cette campagne étaient de jeunes femmes qui s'investissaient dans une campagne politique pour la première fois de leurs vies. Et c'était sans concession et la campagne fut un vrai succès. Après cela, il y a eu une campagne réussie appelée “ Menteurs ”, “ Militaires menteurs ”... où des citoyens ont mené les campagnes, mis des grands écrans pour montrer les procès organisés par l'armée. Ces vidéos étaient montrées dans tout le pays. La plupart des organisateurs étaient des femmes, des femmes très fortes. Le slogan de la campagne était : “ on ne cachera rien ”. C'était très dangereux, car dans les zones les plus pauvres il était très facile pour les opposants d'engager des voyous pour battre les organisateurs ou créer le chaos. (lire la suite à droite) |
Les islamistes au parlement ont commencé à dire qu'ils voulaient annuler certaines lois. Beaucoup de femmes ont commencé à s'impliquer et ont ouvert des pages facebook et elles se sont même rassemblées devant le parlement. Les manifestantes se sont aussi dirigées vers Al Azhar (l'université), et y ont manifesté. Evidemment, elles étaient inquiètes de se voir enlever leurs enfants (si un changement devait se faire dans la loi sur le divorce). L'armée se sert des islamistes pour effrayer la population dans les rues et ils visent les femmes avec ce message. Jusqu'à présent, aucun régime ne s'est intéressé aux femmes. Ils se servent des femmes uniquement pour avoir leurs votes, parce qu'ils n'ont jamais été intéressés par une société civile et égalitaire. L'ancien régime de Moubarak essayait de contrôler les organisations de droits des femmes. Ils étaient habitués à surnommer les féministes de “ femmes folles ”. Q : Quel est le plus grand danger pour les Égyptiennes aujourd'hui ? Les programmes militaire et islamiste. Ces deux programmes sont violents contre les femmes. Les islamistes empêchent les femmes de sortir dans les rues pour des raisons religieuses, et les militaires ont tué les femmes dans les rues. Vous savez,les tests de virginité étaient faits par les militaires. Toute cette situation d'insécurité dans les rues est un problème pour les femmes. Cette violence économique et social à l'encontre de la population dans les rues, en empêchant les gens d'avoir du pain, de l'essence ou de l'électricité, c'est une fois de plus une violence faite directement aux femmes. Actuellement, les femmes sont inquiètes des lois qui sont discutées au parlement. Les premières lois, qu'ils ont commencé à négocier, étaient des lois contre les femmes. C'est inquiétant. Q : Quand avez-vous commencé à utiliser les médias sociaux ? Quel rôle ont eu les médias sociaux dans votre vie en tant qu'Égyptienne? Cela fait des années que je me sers des médias sociaux (depuis 2001 ). Sur Mountadayet (c'est un forum de discussion) sur internet (Nadi al Fikri Arabi). On y affichait des articles. J'y ai mis des articles politiques ; certains à-propos du mouvement Kefaya. Nous échangions des informations et nos expériences, c'était vers 2003. Puis nous avons commencé à avoir des blogs. Les blogs ont commencé à devenir connus en Égypte en même temps que le mouvement Kefaya apparu. Tous les blogueurs étaient intéressés à couvrir les activités du mouvement. Ils ont commencé non seulement par être des gens qui suivaient la révolution, mais qui en faisaient des reportages et c'est ainsi qu'ils ont fini par rejoindre le mouvement. C'est ce qui l'a transformé d'un petit groupe intellectuel isolé de gens fous (qui disent : à bas Moubarak) à ces idées diffusées partout vers de larges groupes. Les blogueurs ont commencé à entrer en concurrence sur qui allait couvrir le plus d'évènements et qui allait le mieux analyser l'information. Ils étaient comme un pont entre toute la blogosphère et nous. Ils étaient en contact avec d'autres blogueurs de différents pays. Ils commencèrent à propager les idées et Facebook à ce moment-là est devenu un espace politique et un outil pour diffuser les idées de changement. Après cela, on a commencé à avoir des pages Facebook sur les personnes torturées par le gouvernement. C'était le problème le plus important. Tout le monde savait qu'il y avait de la torture dans les postes de police. Des photos et des vidéos de citoyens torturés dans les postes de police étaient propagés de cette façon aussi. Nous avons eu en 2007 le groupe du 6 avril (certains d'entre eux étaient du mouvement Kefaya), c'était le premier groupe de jeunes gens à utiliser internet d'une manière différente. Ils savaient comment se servir d'internet, et ils demandaient aux gens de cliquer sur Facebook quand ils voulaient se joindre à une manifestation, c'était facile pour les gens de cliquer et ils étaient capables d'évaluer comment les idées étaient diffusées et combien de personnes les soutenaient. Finalement, ils ont commencé par se rassembler et aller dans les rues. Puis a commencé la page : “ nous sommes tous Kaled Said ”, une page très importante. Cette page a commencé à rassembler des jeunes gens dans tout le pays pour faire quelque chose dans la rue à leur façon. Q : Vous et d'autres Égyptiennes avez-vous le sentiment d'avoir les mêmes droits quand vous utilisez les médias sociaux ? Quand j'ai commencé à lire des blogs, je me suis rendu compte que certaines des blogueuses venaient de régions éloignées. Certains de ces blogs étaient incroyables ; leurs auteures venaient de familles conservatrices. Les femmes pouvaient cacher leur identité et dire beaucoup de choses concernant leurs vies. C'est toujours le seul lieu où certaines femmes ont l'impression qu'elles ont la liberté de bouger. Cela donne du courage à d'autres femmes (quand elles lisent de tels blogs) et les femmes commencent à se découvrir. J'avais mon propre blog, au début je me cachais mais après un an j'ai commencé à me sentir plus forte et courageuse et je disais aux gens que c'était mon blog. Être sur internet permet d'avoir des contacts et des connexions. J'ai rencontré certaines personnes sur internet et j'en ai fait des amis sur la blogosphère. Finalement, certains sont devenus des amis dans la vraie vie aussi. Si vous créez une page sur Facebook qui parle de femmes souffrant de violence militaire par exemple, les gens peuvent s'engager sur la question et au final quelqu'un peut organiser des évènements et cela créé un réseau. Q : Pensez-vous qu'il est plus difficile pour vous d'être prise au sérieux en tant que femme ? C'est une question délicate. À cause des problèmes de sécurité, je ne me sens pas en sécurité dans mon pays. La violence c'est quelque chose de très mal et cela affecte en premier lieu les femmes. D'une façon directe et indirecte, de toutes les façons. Si vous vous trouvez face à un voyou, si vous êtes une femme, il ne vous frappera pas uniquement, mais il vous harcèlera sexuellement ou vous kidnappera. C'est plus difficile pour moi, car maintenant je suis confrontée à toutes ces situations. Parfois vous êtes dans la rue et quelque chose arrive. La société dans son ensemble ne parle pas beaucoup des problèmes des femmes et ces questions des femmes sont très importantes. Par exemple : ils ont fait des déclarations sur ce sujet, quand les tests de virginité militaire sont arrivés, personne n'en a fait grand bruit. Quand nous avons manifesté, les hommes encerclaient les manifestantes pour les protéger. C'était une idée réactionnaire. Les gens pensent d'une manière traditionnelle concernant les femmes. Même si vous avez le courage de vous mettre en première ligne et de vous battre, vous trouverez quelqu'un qui vous dira : tu es une femme, rentre chez toi et fais quelque qui est sûre. Q : Comment voyez-vous votre futur ? Parfois ça à l'air sombre. C'est la révolution. C'est comme être optimiste et très déprimé en l'espace de 2 minutes. J'ai des humeurs très contradictoires. Je crois qu'il y a des enfants et des adolescents qui ont vu la révolution et comprennent ce qui se passe. Même si on se trouve face à une grosse pierre qui arrête la roue pendant un temps, cela ne veut pas dire que la roue ne se remettra pas à tourner de nouveau. La roue a tourné de nouveau et tellement de choses ont déjà changé. Nous avons toujours cent étapes inachevées à terminer pour avancer. Cela dépend de la volonté et du courage des gens. Mais les gens continuent d'aller dans les rues même si la lutte devient de plus en plus difficile et ils savent qu'ils risquent de ne plus pouvoir rentrer à la maison s'ils vont dans les rues. Et à chaque fois, il y a un pourcentage qui ne rentrent pas sain et sauf à la maison, il y a plus de gens dans les rues et beaucoup de femmes aussi, alors je crois qu'il y a de l'espoir. |