Entrevue
Interviewée en arabe le 8 mai 2012 au Caire par Tatiana Philiptchenko.
Traduit par Makar Barsoum vers l'anglais Transcription par Tatiana Philiptchenko. Traduction et adaptation vers le français par Anthony Le Parc. Révision et correction par Sonia Jane Fredj et Anthony Stéphan. Correction finale par Tatiana Philiptchenko Q : Où étiez-vous le 25 janvier 2011 ? Le 25 janvier, je n'avais aucune mission, j'étais là par curiosité et pour observer. Quand j'ai quitté la maison, j'ai entendu qu'il y aurait des manifestations, je voulais les voir. Mais quand j'ai vu les gens dans les rues, j'ai décidé de créer ma propre mission. Q : Avez-vous participé à la manifestation ce jour-là ? Non, car mon rôle en tant que reporter est de couvrir la manifestation et non d'y participer, et c'est très important pour moi. Le 25 janvier 2011, j'étais surprise par le nombre de gens et les rues par lesquelles ils passaient. Au Caire. il y a un certains lieux où les manifestants vont comme la place Tahrir, la rue Ramsès. Mais c'était la première fois que je voyais des manifestants sur d'autres rues comme la rue Mohammed Ali, la place Ataba ou la rue Port-Saïd, j'ai donc écrit un article ce soir-là qui s'intitulait " Les rues qui ont vu des manifestations pour la première fois " et il s'agissait de voir comment les rues réagissaient face aux manifestants qui scandaient des slogans anti-Moubarak. Q : Votre vie personnelle a-t-elle changé depuis la révolution ? Oui beaucoup. Avant la révolution, j'avais l'impression que mes journées étaient ennuyeuses et sans saveur : chaque jour était un jour ennuyeux avec rien de nouveau. Après la révolution, c'est devenu plus excitant : tous les jours il y avait de nouveaux évènements ; J'ai commencé à écrire un journal personnel, ce que je n'avais jamais fait auparavant. Dès le premier jour de la révolution, j'ai commencé à tenir un journal sur ce qui arrivait et comment je réagissais aux évènements, et mes sentiments par rapport à ces évènements ; je continue de le mettre à jour. Certains de mes collègues me proposent de publier ces mémoires dans un livre. Je fais ce travail d'écriture parce que c'est une période importante et j'ai besoin d'en conserver une trace. Ça m'aide beaucoup dans mon travail : très souvent je consulte mon journal pour me rappeler ce qui s'était produit à une date particulière. Q : En ce qui concerne les femmes, trouvez-vous leurs conditions meilleures, identiques ou pires qu'avant la révolution ? Les conditions des femmes sont pires qu'avant la révolution. Avant la révolution, les choses étaient sous contôle, les gens savaient quels étaient leurs devoirs et leurs droits, ce qui était permis, ce qui ne l'était pas ; le chaos dans la rue n'existait pas. Il y avait l'ordre et la loi même si ce n'était pas idéal. Maintenant, il n'y a plus d'ordre ou de sécurité, plus de respect pour les femmes. Il y a des lois ou des décisions prises par Suzanne Moubarak pour promouvoir les droits des femmes sur lesquelles nous sommes revenus, uniquement parce que c'était Suzanne Moubarak qui en avait fait la promotion et maintenant elle est partie, sans se soucier de savoir si ces lois sont bonnes ou pas. Maintenant nous devons faire face au harcèlement dans les rues ; il est devenu très compliqué de rester tard dehors. Personnellement, je continue à le faire mais d'autres femmes ont peur de sortir le soir. Il y a un incident connu de cette fille qui a été jetée à terre dans la rue et qui a perdu son chemisier pendant une manifestation, l'image a fait le tour du monde : les Égyptiens la critiquaient pour être aller manifester, bien que c'était son droit d'y être. Je suis devenue plus active en société, je me suis rendu à une manifestation de femmes où 10000 femmes soutenaient “ la fille au soutien-gorge bleu ”. En participant à cette manifestation, je n'agissais pas en tant que journaliste ; en effet, j'ai laissé ma carte de presse à la maison avant d'y aller. J'agissais en tant qu'Égyptienne. Quand vous êtes une femme en Égypte, vous êtes humiliée parce que vous êtes plus faible, parce qu'il n'y a aucune sécurité dans les rues, il n'y a personne pour vous protéger ou pour prendre votre défense. C'est très difficile d'avoir des droits et ils ne respectent pas vos droits : il est très difficile de les récupérer. Si vous ajoutez à cela que je suis journaliste dans une société sexiste et profondément méfiante envers les journalistes, vous pouvez imaginer les difficultés auxquelles je fais face pour aller dans les rues et me mêler à la population et aux forces de sécurité. Je suis sur la ligne de feu avec ses forces qui ne font aucune distinction dans leur brutalité entre des hommes et des femmes. Mais la violence physique affecte plus les femmes, car elles sont le sexe faible. Q : Quels sont les dangers auxquels fait face la révolution maintenant ? Le manque de sécurité pour la population, et je crois que cela est fait exprès. Les hors-la-loi qui attaquent ou terrorisent la population sont bien connus de la police, ils sont contrôlés par eux et ils les utilisent avant et pendant les élections. Et maintenant le régime les utilise comme un moyen pour que les gens approuvent tout ce que le régime fait pour revenir à la loi et l'ordre. C'est le plus grand danger ou menace auquel la population doit faire face. Ce n'est pas le manque de nourriture ou d'essence, mais un manque de sécurité. Q : Quel est le rôle joué par les médias sociaux dans la révolution ? Ils ont joué un grand rôle dans la préparation de la révolution, pendant la révolution et après la révolution. Avant l'apparition des médias sociaux, il y avait très peu de solidarité entre les gens. Mais les médias sociaux ont créé un média en parallèle où la population pouvait s'exprimer en opposition aux médias officiels, qui étaient contrôlés par l'État. Cela a créé une atmosphère où les gens pouvaient s'opposer au régime, et cela a préparé le terrain pour la révolution. Quand Facebook est arrivé, cela a créé un nouvel outil de communication entre les gens. Vous pouviez maintenant renouer des contacts avec vos amis que vous n'aviez pas vus depuis des années ; maintenant la plupart des gens ont cessé d'utiliser les blogs et utilisent simplement Facebook où ils publient leur statut et disent ce qu'ils ont dans la tête. J'étais une fervente suiveuse de blogs, je suivais les blogs de beaucoup de mes amis, mais quand Facebook a commencé, j'ai pratiquement cessé d'utiliser les blogs car la plupart de mes amis écrivent juste sur Facebook. J'ai donc mon compte Facebook toujours ouvert : je le vérifie dès que je me lève et c'est la dernière chose que je fais avant de dormir. Cela a créé un puissant moyen de communication et d'organisation entre les gens. Quand une invitation est mise sur Facebook pour une manifestation, tout à coup vous avez des centaines de personnes qui y ont accès, et, le pouvoir d'avoir tous ces gens au courant sur ce qui se passe c'est incroyable. C'était l'un des principaux composants de la révolution du 25 janvier 2011. J'ai eu l'invitation pour une manifestation sur Facebook le 25 janvier 2011 : on m'a dit où elle allait, par où elle passerait, on me donnait toutes les étapes de ce qu'ils faisaient et où ils seraient et de ce qu'ils y feraient. (lire la suite à droite) |
Q ; Quelle est votre opinion sur les huit femmes siégeant au parlement égyptien aujourd'hui ?
J'étais complètement contre les élections parlementaires. Je pensais que c'était un grand spectacle et que beaucoup d'irrégularités seraient constatées. Prenez par exemple la confrérie des frères musulmans, une organisation illégale, a créé ce nouveau parti " le parti de la Justice et de la Liberté " pour se présenter aux élections parlementaires. La loi dit que vous ne pouvez pas avoir un parti politique basé sur des principes religieux ; la confrérie des frères musulmans est un mouvement islamique donc il ne peut pas être un parti politique. Ils ont donc contourné la loi en créant “ le parti de la Justice et de la Liberté ”. En ce qui concerne les femmes : premièrement je suis opposée aux frères musulmans et ces femmes viennent de la confrérie des frères musulmans. Ensuite, elles n'ont réellement rien fait, ces femmes ont été utilisées pour justifier la présence de femmes au parlement. Mais elles n'ont aucun rôle dans le discours politique. Par exemple, quand vous avez une de ces femmes qui sort et vous dit : “ les gens qui sont à la place Tahrir sont des hors-la-loi et des voyous ”, cela est ridicule : c'est la place Tahrir qui a apporté la démocratie en Égypte et qui les a mises à cette place, donc mon opinion sur ces femmes n'est pas très bonne, elles ne sont pas représentatives du mouvement des femmes en Égypte et elles sont juste utilisées par la confrérie des frères musulmans. Q : Quels avantages, s'il y en a, les femmes ont-elles obtenus de la révolution égyptienne de 2011 ? Je parle en mon nom et au nom des femmes car je suis une femme. Pour autant que je sois concernée, les femmes sont devenues plus audacieuses. Elles sont plus enclines à se battre pour leurs droits et espèrent changer les choses. En décembre 2011, il y avait la manifestation de soutien à la fille au soutien-gorge bleu. Avant de me rendre à la manifestation, j'étais déprimée en pensant que rien ne changerait; je suis donc allée à la manifestation pensant qu'il y aurait très peu de monde, mais je fus surprise de voir toutes ces femmes dans la rue. Quand nous avons commencé à scander les slogans, beaucoup de gens se sont rassemblés autour de nous. J'ai pensé après que nous pourrions faire la différence et changer les choses. Quand je suis rentrée chez moi, j'ai entendu que le Conseil suprême des forces armées avait présenté ses excuses pour ce passage à tabac ; j'ai eu l'impression que nous, en tant que femmes, pouvons faire la différence grâce à nos actions, que nous ne sommes plus un groupe marginalisé, que nous sommes donc plus conscientes de nos droits et prêtes à nous battre pour nos rêves. Q : Beaucoup de médias disent que les femmes sont mises de côté maintenant. Elles ont participé à la révolution, elles étaient dans les manifestations, elles ont passé des nuits entières sur la place Tahrir, elles ont pris soin des blessés, et maintenant que le pic de la révolution est terminé, les femmes sont-elles retournées à leur rôle traditionnel ? Leur rôle est-il mineur aujourd'hui Cela est partiellement vrai, cela pourrait s'appliquer à certaines femmes, mais définitivement pas à toutes. Vous avez toujours des femmes très actives, je voudrais juste mentionner quelques noms comme Asmaa Mahfouz (2) et Nawara Negm (3) qui sont extrêmement actives dans la révolution en cours. Et vous avez beaucoup d'étudiantes à l'université qui sont également très actives. Il y avait dernièrement une manifestation devant le ministère de la Défense et il y avait beaucoup d'étudiantes qui y participaient, bien que ce sont des endroits dangereux pour manifester. Vous avez donc beaucoup de femmes et féministes qui participent à la révolution. Q : Où étiez-vous le 11 février 2011, le jour où fut annoncée la démission de Moubarak et qu'avez-vous ressenti ce jour-là ? Je me rappelle très bien de ce jour, c'était un jour inoubliable. Nous étions au journal ce jour-là. Le 10 février, le jour avant qu'il ne démissionne, il y avait une forte rumeur qu'il annoncerait sa démission. Et à la télévision le présentateur arriva et déclara qu'il y aurait un important message incessamment sous peu et nous attendions son discours de démission (nous pensions qu'il allait déclarer qu'il partait) : au lieu de cela Moubarak est apparu à la TV et donna un discours déprimant et annonça qu'il allait rester et tout le monde fut frustré, ce n'était pas du tout ce à quoi les gens s'attendaient. Puis nous avons pensé que Moubarak allait rester jusqu'en juillet 2011 et ce fut tout. Puis le 11 février au matin, nous avons appris qu'il y avait une manifestation qui se dirigeait vers le bâtiment de Maspero TV sur le Nil et une autre manifestation qui allait au palais présidentiel à Nasr city. J'étais au journal au centre-ville ; j'ai décidé d'y rester même si nous étions vendredi. Puis, le présentateur à la télévision annonça qu'il y aurait une courte allocution, j'ai donc pensé que je devrais peut-être rentrer tranquillement à la maison, prendre une douche, et mettre mon pyjama et attendre la déclaration à la télévision. Juste après, un de mes collègues dit qu'Omar Suleiman allait faire une déclaration (son fameux discours du 11 février annonçant la démission de Moubarak), il y avait beaucoup de monde autour du poste de TV au journal, je ne pouvais pas entendre le discours, mais dès que je compris qu'il annonçait le départ de Moubarak, j'ai pris un appareil photo et je suis parti vers la place Tahrir avec un collègue qui avait pris un drapeau avec lui. Tahrir est à environ 4 minutes à pied de notre bureau. Tout le monde dans la rue se disait “ Mabrouk ” (félicitations en arabe), nous entendions des gens crier de joie et d'autres chanter : on ne pouvait même pas arriver sur Tahrir, car il y avait tellement de monde. Nous sommes donc allés à Qasr El Nil, puis Maspero (des places symboliques qui ont été les témoins de manifestations importantes pendant le soulèvement). J'ai senti à ce moment-là qu'un gros poids disparaissait. C'était un sentiment incroyable ; je sentais qu'il y avait une nouvelle Égypte. C'était la meilleure expression de joie collective que je n'avais jamais ressentie, l'impression que tous les gens autour de moi étaient heureux. [1] http://www.cbc.ca/news/world/story/2011/12/20/egypt-tahrir-square-army.html [2] http://asmamahfouz.com [3] http://en.wikipedia.org/wiki/Nawara_Negm |
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