Salwa Bakr“En tant que femmes, nous devons nous battre pour avoir la bonne position dans la société” Salwa Bakr est une écrivaine égyptienne célèbre. Une grande partie de son travail décrit la marginalisation des femmes dans la société. Salwa est publiée en anglais par Les Presses de l'Université américaine au Caire et ses publications sont disponibles sur Amazon. Photo, courtoisie de Haleem El Shaarani http://www.flickr.com/photos/10654944@N04/sets/ |
Salwa parle de son inquiétude face aux difficultés encourues par les femmes dans son pays. Dans cette entrevue, elle explique le conflit intrinsèque entre la modernité et la vision traditionnelle en Égypte. Arab World Books: salwa_bakr Wikipedia: Salwa_Bakr |
Entrevue
Interviewée en anglais au Caire printemps 2012 par Tatiana Philiptchenko.
Traduction et adaptation vers le français par Anthony Le Parc. Révision et correction par Christine Brien Kilian et Tatiana Philiptchenko. Q : Où étiez-vous le 25 janvier 2011 ? Mon fils m’avait dit que je devais être sur la place Tahrir. Il y avait une manifestation de jeunes gens du mouvement du 6 avril. Je lui ai répondu que je ne faisais pas confiance aux jeunes du centre-ville. Il y est allé sans moi le matin. À 19h, je regardais la télévision et j’ai fini par aller sur la place moi aussi. À partir de ce moment, j’étais sur Tahrir tous les jours du matin jusqu’à minuit, et ce jusqu’à ce que Moubarak parte. Beaucoup de mes amis dormaient sur place, je ne pouvais pas dormir là-bas, car c’était trop difficile. À partir de ce moment, j’ai participé à de nombreuses manifestations. Q : Pourquoi ? Parce que cette révolution a permis aux Égyptiens de renouer avec leur esprit, leur profond esprit d’il y a 50 ans (de l’époque de Sadate). Ma génération, nous avons beaucoup rêvé, nous avons rêvé de changer ce pays, d’apporter la justice sociale, et cette nouvelle révolution de 2011 nous a permis de rêver encore. Nous voulons la toucher et ne pas la laisser s’échapper de nos mains. Q : La révolution a-t-elle changé quelque chose sur le terrain aujourd’hui ? Les revendications de la révolution n’ont pas été atteintes jusqu’à présent. Mais la chose la plus importante pour le peuple égyptien : c'est que 80 millions de personnes sont en train de parler de politique. Nous avons reconquis notre espace politique. Maintenant, si vous êtes avec un chauffeur de taxi, vous pouvez parler des affaires politiques. Avant la révolution, on pouvait simplement parler avec eux du folklore, de soccer (football), de cinéma, mais pas de politique. Avant la révolution, mon fils ne parlait jamais des affaires politiques. Il s’intéressait principalement au hip hop, à la musique et aux sports. Depuis la révolution, il tient à discuter de politique. Q : Votre vie a-t-elle changé depuis la révolution ? Je n’ai plus peur depuis la révolution. Avant, j’avais tout le temps peur. J’étais en prison en 1989. Il était très facile d’être arrêté dans la rue sous Moubarak. Si quelqu’un disait quelque chose sur vous, vous pouviez facilement avoir des problèmes. Aujourd'hui, je peux enfin m’exprimer franchement. Je peux dire que je suis de gauche sans peur. Ce n’est pas seulement pour moi, mais aussi pour les partisans des Frères musulmans : nous pouvons tous parler librement maintenant. Q : Plus d’un an après la révolution, quel est votre avis sur la situation des femmes égyptiennes aujourd’hui (en avril 2012) ? Il y a certaines choses qui vont mieux. Dès le début de la révolution, beaucoup de femmes de toutes les origines ont participé, riches et pauvres. Je suis étonnée par ça. Je pense que la majorité des Égyptiennes ont beaucoup souffert, car nous sommes sous le joug d’anciennes valeurs misogynes dans notre société. Si vous voyez par exemple : une femme professionnelle interviewée sur une télévision locale, après l’avoir interrogée sur ses réalisations professionnelles, le journaliste lui demandera certainement si elle cuisine pour son mari et ses enfants. Ces questions signifient que la société nie le rôle des femmes en dehors de la maison. Si j’ai les cheveux courts, ma famille me demande : “ C’est quoi cette coupe de cheveux misérable ? Tu devrais aller chez le coiffeur ”. La définition de la femme dans notre société est telle que nous devrions être des prostitués modernes ; ce qui signifie : travailler pour un homme et ses enfants. Et le premier rôle est un rôle sexuel. Donc la majorité des femmes souffrent de cette situation, car dans tous les domaines vous pouvez trouver des femmes très brillantes et efficaces. Il est important de savoir qu’en Égypte, 22 % des femmes sont le soutien financier de la famille. Voilà une histoire typique qui représente bien la façon de penser de beaucoup d’Égyptiens, c’est l’histoire d’une femme rencontrée en prison qui a tué son mari : elle travaillait comme employée de maison huit heures par jour et elle rentrait chez elle pour cuisiner et nettoyer pour sa famille. Un soir, son mari voulut faire l’amour. Elle refusa parce qu’elle était trop fatiguée. Et pour cette raison, il voulut une autre épouse, il lui dit qu’elle était laide et qu’elle n'était pas une bonne épouse, c’est alors qu’elle le tua. Je pense que la majorité des Égyptiennes sont avides d’être vues et traitées différemment par la société : c’est pour cela qu’elles ont participé à la révolution. Q : Que pensez-vous de la représentation de la femme au parlement ? Les femmes essaient de s’exprimer et ont essayé de dire “ nous sommes là en tant que citoyennes ” pendant la révolution. Je pense que c’est une réalisation positive. Au parlement, c’est autre chose. Beaucoup de femmes n’ont pas assez d’argent pour se faire élire. Elles n’ont pas vraiment de soutien pour les supporter aux élections. Les femmes qui y sont parvenus jusqu’à présent étaient soutenues par le parti Nour. Je pense que dans les années à venir, les femmes auront un grand rôle dans la vie politique en Égypte. (lire la suite à droite) |
Q : Quel est le plus grand danger pour la révolution ?
Le plus grand danger est le soutien des États-Unis et d’Israël à l’ancien régime Moubarak qui est toujours actif actuellement. Je pense que c’est le plus grand danger. Cette révolution a besoin de beaucoup d’expérience pour affronter ces sujets dangereux. Q : Vous avez fait la promotion des droits des femmes dans vos écrits ? Je suis intéressée par la problématique féminine. Je suis même plus intéressée par ces questions maintenant. J’ai écrit sur ces femmes portant le niquab. Je suis intéressée par ces femmes. J’ai découvert que le voile n’est pas religieux, c’est un voile social, car elles vivent dans des environnements marginaux et différents, elles se protègent comme cela. Elles utilisent le niquab comme un moyen de défense comme les anciens combattants romains. Cette problématique m’intéresse plus qu’avant la révolution. Je me suis aperçue que ces femmes étaient fortes, elles comprennent beaucoup de choses même si elles ne sont pas éduquées. Q : Quels sont les facteurs qui ont ralenti l’essor des femmes en Égypte ? Les Égyptiennes ont acquis de nombreuses avancées plusieurs années auparavant. En 1956, les Égyptiennes ont obtenu de nombreux droits politiques. Les Égyptiennes vont à l’université depuis 1925. Les Égyptiennes agissent dans différents domaines. Elles ont pratiquement été, jusqu’à un certain point dans l’histoire moderne, des citoyennes de plein droit. Avant la révolution (pendant le règne de Moubarak), de nombreuses avancées, obtenues par les femmes, ont commencé à disparaître de façon douteuse. Par exemple, dans les offres d’emploi vous trouviez des phrases telles que : “ pour hommes seulement ” ; vous ne voyiez jamais de telles choses avant. Dans le gouvernement, les ministres étaient tout le temps des hommes. Avant la révolution, il y avait des comportements anti-femmes mais plus subtils. Sous l’ère Moubarak, il y avait des lois en faveur des femmes non pas parce qu’ils le souhaitaient, mais parce qu’ils voulaient montrer à l’Occident qu’ils donnaient des droits aux femmes. En tant que femmes, nous voulons obtenir de vrais droits pour devenir de vraies citoyennes et que tous ces droits soient constitutionnels. Nous avons besoin d’une éducation différente pour jouer un grand rôle et pour changer la mentalité des gens envers les femmes. En tant que femmes, nous devons lutter pour avoir la bonne position dans la société, pour être présentes dans les plus hautes fonctions en Égypte. Par exemple, je demande à ce que nous ayons le droit d’intégrer l’armée. Nous devrions être présentes dans tous les domaines. Nous devrions nous battre pour ça. Q : Que pensez-vous des propos actuels sur une islamisation de l’Égypte ? Le vrai problème n’est pas la possible islamisation de l’Égypte, le vrai problème vient des laïcs. Ils se décrivent comme des laïcs dans notre société, mais en fait ils croient en d’anciennes valeurs. Ces gens sont atteints de schizophrénie : comment puis-je les croire quand ils parlent de droits de l’Homme ? Si leur comportement chez eux me laisse penser qu’en tant que citoyens, ils ne disent pas la vérité ? Par exemple, de nombreuses femmes diplômées et mariées jeunes découvrent que même si elles travaillent six heures à l’extérieur de la maison, elles doivent effectuer de nombreuses tâches ménagères en rentrant chez elles et sans l’aide de leurs maris. Pour cette raison, nombre d’entre elles décident de rester à la maison et peut-être même de porter le voile. Leur vie est ainsi plus facile. Q: Quelle est votre opinion sur les tests de virginité effectués sur les manifestantes pendant la révolution ? Le test de virginité est un acte terroriste envers les femmes égyptiennes. On essaie d’effrayer les femmes pour qu’elles ne participent pas aux manifestations ou pour qu'elles ne deviennent pas activistes. Je ne crois pas que ça marchera. C’est une méthode minable de la part des militaires pour effrayer les femmes. Q: Nombre de vos travaux littéraires mettent l’accent sur les femmes égyptiennes. Quels sont vos sentiments sur la situation de la femme aujourd’hui dans le pays ? L’Égypte est un vieux pays où les gens sont habitués à transiger avec les autorités, particulièrement les femmes. La situation des femmes égyptiennes aujourd’hui, est misérable. La majorité des femmes égyptiennes vivent à la campagne. Ce sont des fermières, l’expérience du travail agricole n’est pas évidente. C’est une expérience riche et pragmatique. Ces femmes peuvent changer rapidement sur la base de quelques éléments positifs. Au final, je suis optimiste. Q: Est-ce que les arts tels que la musique, les fresques murales, la littérature ont joué un rôle important dans la révolution ? Ces choses sont géniales, mais de mon point de vue, s’il n’y a pas d’éducation dès le départ, il n’y aura de résultats positifs émanant des arts. Actuellement, le principal problème en Égypte est l’éducation. Si un enfant n’a jamais été sensibilisé à l’art, comment voulez-vous qu’il soit impressionné par ça ? Donc, il n’y aura aucun résultat si l’art ne fait pas partie de l’éducation des plus jeunes. Q: Pouvez-vous me décrire qui est la femme égyptienne ? La femme égyptienne est le Nil. |