Entrevue
Interviewée en anglais au Caire le 6 mai 2012 par Tatiana Philiptchenko.
Traduction et adaptation vers le français par Anthony Le Parc. Révision et correction par Sonia Jane Fredj et Anthony Stéphan. Q : Où étiez-vous le 25 janvier 2011 ? J’étais dans la rue en raison d'une invitation sur Facebook appelant à manifester pour le changement. J’étais à côté du Syndicat du Journalisme au centre-ville du Caire. Il y avait des policiers partout. Ils nous encerclaient. De temps en temps, ils arrêtaient quelques personnes et les mettaient dans leurs voitures et en relâchaient certains par la suite. Nous appelions des gens en Tunisie. Les félicitant et leur disant que maintenant nous espérions que ce serait notre tour d’avoir une révolution. Puis, nous avons débuté notre marche au centre-ville du Caire et ils ont tiré sur nous des gaz lacrymogènes. Il y avait du monde, mais c’était les habitués des manifestations des années passées. Le reste de la population avait peur. Les gens avaient peur d’être emprisonnés ou d’avoir d’autres problèmes. Nous les avons appelés, mais ils n’ont pas eu le courage de descendre dans les rues. Q : Qu’avez-vous ressenti quand Moubarak a quitté le pouvoir le 13 février 2011 ? J’ai pensé que j’aurais dû être plus présente dans la rue. J’aurais voulu être moi-même une martyre. Q : Avez-vous eu l’impression que quelque chose allait changer ? J’ai eu le sentiment que tout allait changer. Q : Vous sentiez que des choses allaient changer ? Maintenant, un an après, qu’est-ce qui a changé ? Et de quelle façon ? Ce qui a principalement changé, et c’est quelque chose de positif c’est le fait que plus personne n’a peur. Chacun est capable d’exprimer son opinion, pour s’opposer et résister et nous n’avons peur de personne. Dans le passé, nous étions Moukawamin (1), il était interdit de parler, de lever la voix, d’exprimer son opinion. Autrefois, vous pouviez participer à une manifestation, mais votre visage devait être couvert pour que personne ne puisse vous reconnaitre, même votre famille devait l’ignorer : sinon, à la fin de la journée, vous pouviez être suivi et amené à la police. En tant que fille vous ne saviez pas ce qui pouvait vous arriver là-bas. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas, vous sortez dans les rues en sachant qu’il y en aura plein d’autres personnes comme vous et que vous n’êtes plus seule. Une autre chose qui est également importante : c’est la sensation qu’en tant que femme vous pouvez descendre dans la rue pour afficher votre présence. Vous ressentez “ J’ai des droits, je suis égyptienne “. Nous étions habituées à dire que seuls les gars pouvaient sortir. Aujourd’hui, nous disons “ Non, l’Égypte n’appartient pas qu’à vous. Non, l’Égypte est à nous comme une seule entité, femmes et hommes, nous les femmes nous sommes aussi des Égyptiennes, “. Donc la sensation que le pays est aussi le nôtre, provoque un grand sentiment d’appartenance. Avant la révolution, je voulais fuir le pays et immigrer, maintenant, je ne pars plus j’y reste pour le transformer. Au plus profond de nous, beaucoup de choses ont changé. Tu sens que tu aimes plus ton pays parce qu’avant tu étais faible, tu te demandes pourquoi tout le monde ne s’est pas révolté plus tôt. Pourquoi cela nous a pris autant de temps pour réaliser que notre révolution aurait conduit à des changements. C’est un sentiment difficile. Q : La situation des Égyptiennes est-elle meilleure ou pire qu'avant la révolution ? Elle est meilleure car la femme égyptienne a commencé, à croire en elle même, elle est devenue consciente qu’elle peut participer dans la société, qu’elle peut apporter des changements. Celles qui ressentaient de la peur ne la ressentent plus. Les femmes qui croyaient que seuls les hommes pouvaient manifester sont les mêmes qui utilisent les rues pour exprimer leur opinion. Aujourd’hui, une fille, qui créée son entreprise, sait qu’elle a le pouvoir de faire avancer les choses et de les changer. Même si les femmes sont au parlement actuellement (elle parle des quatre femmes de la confrérie des frères musulmans , elles ne nous représentent pas. La première chose que ces femmes ont demandée au parlement c’était de retirer certains droits que nous avions. (lire la suite à droite) |
Q : À votre avis, quel est le plus grand problème auquel les Égyptiennes ont à faire face aujourd’hui ? Il y a deux principaux problèmes : le premier est le manque de confiance des femmes en elles- même. Le deuxième est la religion et les mauvaises interprétations de celle-ci qui menottent la liberté des femmes. Nous sommes des femmes qui avons été éduquées à partir d’une culture et d’une mentalité masculine enracinées dans une société patriarcale dont nous ne pouvons nous défaire. Nous pensons toujours que les hommes doivent nous diriger. Les quotas qu’ils ont supprimés (quotas de la représentation féminine au parlement, 78 sièges étaient réservés aux femmes) étaient la plus grande ressource qui pouvait nous aider. Quand nous intégrons des femmes dans la politique de nos jours grâce à une loi, c’est pour permettre à ce que d’autres s’investissent dans la politique dans le futur sans avoir besoin d’une loi. Mais nous avions tout de même besoin de les intégrer au départ. Nous devons dire aux femmes : “Impliquez-vous dans la politique, pratiquez la politique. Vous avez le même rôle que les hommes”. Quand cela arrivera et qu’elles auront ce droit, dans le futur, les femmes seront élues comme candidates sans considération de genre. Q : Selon vous, les femmes font-elles entièrement partie de la révolution en cours sur chaque aspect ? Regardez autour de vous, il y a des femmes plus âgées et des femmes au foyer qui se sont retirées, car elles doivent s’occuper de leur maison et des enfants. Mais, ce sont elles qui ont influencé la révolution. Elles ont poussé la révolution vers le succès. C’est la participation de ces femmes au foyer qui a fait que tout le monde a suivi. Ces femmes au foyer se sont retirées, car elles estimaient que dans l’immédiat cela ne valait pas la peine, en particulier avec tout ce chaos dans lequel nous sommes maintenant. Les jeunes femmes et les hommes sont toujours présents et participent, mais ce n’est pas le cas des femmes de plus de 40 ans et des dames plus âgées. Rappelez-vous que c’est notre première expérience dans le monde politique. C’est pour cela que les résultats sont si décevants. Q : Les hommes ont-ils joué un rôle dans cela ? Poussent-ils les femmes à retourner vers leur rôle traditionnel ? Au contraire, les hommes qui étaient avec nous pendant la révolution nous appelaient et nous demandaient : “où êtes-vous ? Venez, participez, vous devez être là”. Ils restent en contact avec nous chaque fois qu’il y a une conférence à laquelle participer. Nous gardons le contact de temps en temps. Cependant les Frères musulmans essayent de nous exclure. Tout en étant à nos côtés sur la place Tahrir, ils ont mis sur la touche les femmes élues au parlement (ils nous ont mis de côté). Mais chez nous, à l’inverse d’eux, en tant que jeune assemblée composée de jeunes hommes et de jeunes femmes, les hommes demandent notre aide pour tout. Il y a une chose que je souhaite ajouter, la plus importante : s’il y a une femme qui est mise de côté ou marginalisée, elle le fait elle-même. Quelqu’un pourrait essayer de m’exclure, mais je me battrais, je resterais là, à m’imposer et continuer à participer. Q : Comment voyez-vous l'avenir des femmes égyptiennes ? Si ça reste comme cela, et si la domination des Frères musulmans continue, je ne vois aucun futur pour nous. Car si la personne qui nous représente est faible, en dépit de notre force, nous resterons faibles. Mais si les prochaines élections sont couronnées de succès et que nous choisissons la bonne personne pour nous aider à traverser cette phase de transition, je peux imaginer que les femmes deviendront l’égale des hommes et ces derniers devront se battre pour la parité avec les femmes. Les Égyptiennes ont un esprit combatif, elles persévèrent et n’abandonnent pas facilement. La femme égyptienne est déterminée à accomplir des choses. Elle a saisi sa chance sur la place Tahrir. Chaque jeune femme qui y était est déterminée et affirme qu’elle n’était pas là-bas sans objectif et sans but. “ J’étais sur la place Tahrir, je dois faire quelque chose pour mon avenir “. Nous sommes donc toutes déterminées à faire quelque chose. J’aimerais travailler au ministère des Affaires sociales. On rêve toutes d’être actives et de changer les choses grâce à nos idées. (1) “Partisans de l'opposition” en arabe |
Droits d'auteur des photos et des textes : Tatiana Philiptchenko. Tous droits réservés..
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