Rania Refaat Shaheen“La révolution m'a donné espoir : j'étais désillusionnée, avant je pensais qu'il n'y avait aucun débouché”
Rania est une avocate, activiste politique et créatrice de EL PERGOLA, un théâtre de marionnettes de sensibilisation politique. Elle est membre du mouvement politique Kefeya. |
Rania décrit comment son amour de toujours pour les marionnettes lui a servi de moyen pour faire passer des messages. Elle les utilisent pour mettre en avant ses causes politique et sociales. Facebook: elpergolapuppettheater |
Entrevue
Interviewée en anglais au Caire le 7 mai 2012 par Tatiana Philiptchenko.
Traduction et adaptation vers le français par Anthony Le Parc. Révision et correction par Christine Brien Kilian. Q : Comment avez-vous eu l'idée de créer un théâtre ? J'étais la directrice du El Sawy Wheel Center au Caire de 2006 à 2009. J'ai découvert pendant cette période que j'étais une bonne écrivaine et j'ai commencé à travailler dans un théâtre qui jouait pour les enfants sans- abri. Où sommes-nous (les enfants des rues ) ? et où es-tu (la société) ?était la pièce que j'avais écrite et dirigée avec eux. L'Union Européenne était le sponsor de ce projet théâtral pendant la révolution égyptienne en 2011, j'ai écrit la pièce : Fatah aynak tekol melvin. J'ai choisi la troupe parmi les gens de la Place Tahrir (tous les acteurs appartenaient à la révolution) - c'était ma première oeuvre de conscientisation politique à propos de la constitution et de la sélection de candidats. Maintenant, j'ai un projet pour mon théâtre de marionnettes Pergola, ce sont des petites saynètes : comme cela, vous pouvez aller n'importe où pour parler de citoyenneté, de la constitution et de droits humains (durée de 10 minutes). Q : Comment vous est venue l'idée d'utiliser des marionnettes ? J'adore les marionnettes depuis mon enfance. Actuellement, J'ai toujours environ 30 marionnettes. Je leur parle toujours et elles ont des noms et je fête leurs anniversaires. Je suis folle des marionnettes. Quand j'ai rencontré Sawi, mon collègue qui était également dingue de marionnettes, on a créé le théâtre de marionnettes. Je pense que les marionnettes sont un excellent outil. Les marionnettes ne sont pas nuisibles, elles sont comme les livres. Je n'aime pas dépendre des humains comme acteurs. Les humains sont parfois indisponibles, ils veulent plus d'argent, parfois ils sont malades. Les marionnettes sont gentilles, ne demandent jamais rien et elles sont comme moi : pauvre. Q : Votre vie a-t-elle changé avec la révolution ? Ce que la révolution a changé c'est que j'ai découvert beaucoup de gens comme moi. Avant, j'avais perdu espoir en la population, je pensais que les gens devenaient stupides. J'ai découvert que beaucoup de jeunes gens étaient comme moi, ils sont passionnés par l'Égypte, ils sont cultivés, bien élevés, ils aiment leur pays : ce fut une surprise pour moi. La révolution m'a donné espoir : j'étais désillusionnée, avant je pensais qu'il n'y avait aucun débouché. Comment se fait-il que l'on ne puisse rien faire dans ce pays, je ne cessais de m'interroger ? Je pensais au suicide. J'étais sérieuse car je ne voulais pas partir à l'étranger et devenir une citoyenne de seconde classe dans un autre pays. Je veux mon pays, je veux mon peuple. Je voulais aider mon pays et je ne pouvais pas l'aider. Avec la révolution, j'ai trouvé la lumière. J'ai trouvé la liberté, beaucoup plus de libertés. Avant la révolution, nous ne pouvions pas manifeste. Nous pouvions simplement rester dans nos maisons. La police nous frappait et nous arrêtait. Nous n'étions pas nombreux, peut-être 500 personnes à chaque rassemblement auquel je suis allée. Nous ne sommes plus seuls maintenant. Maintenant, nous avons le sentiment de liberté. Je n'aime pas la confrérie des frères musulmans et les fondamentalistes. Je n'aime pas leur idéologie mais dorénavant ils sont avec nous. Maintenant on échange avec eux. C'est sain dans un pays que l'on puisse tous échanger, même si nous sommes différents. La confrérie des frères musulmans parle comme s'ils étaient la langue de dieu, et je suis religieuse mais je sais que dans l'Islam il n'y a pas “ de langue de dieu ”. Maintenant les gens voient que les frères musulmans sont comme n'importe qui : ce ne sont pas des prophètes, ils sont normaux, ils font aussi de graves erreurs. Cela est bon pour l'Égypte car cela signifie que nous avons franchi une étape vers la renaissance parce que nous n'avons plus peur des hommes qui parlent de dieu. Le moment est proche, je le sais. Et la liberté des femmes arrive : elles n'ont plus peur comme avant. (lire la suite à droite) |
J'ai écrit dans le métro ces mots devant des navetteurs : “ Ma morale n'est pas dans mon foulard ”. Les banlieusards me demandent : “ êtes-vous musulmane ? ”, je réponds “ oui je suis musulmane, je prie, j'ai fait le Hadj ”. Vous savez, parce que la morale n'est pas dans ton voile mais en toi. Je leur dis : “ Vous ne devriez pas vous mettre derrière les hommes, vous avez votre propre caractère, votre propre cerveau ”. Certains d'entre eux sont contents, d'autres en colère, mais jusqu'à maintenant personne ne m'a frappé. (Rania le dit en rigolant).
Q : Est-ce que votre vie personnelle a changé depuis la révolution ? Non je n'ai pas rencontré mon âme soeur. Et mon théâtre Pergola a besoin de plus d'efforts et de travail. Q : Pensez-vous que la situation des femmes égyptiennes est meilleure ou pire qu'avant la révolution ? Meilleure. Les femmes se connectent ; elles forment des groupes de paroles. Beaucoup de groupes parlent des droits des femmes. Les femmes étaient avec les hommes dans la révolution. Les hommes ne peuvent plus dire : vous êtes négatives ou inutiles.On nous a arrêtées, tuées, on nous a tout fait. C'est une grande étape pour les femmes. Q : D'après vous quel est le plus grand danger auquel les femmes égyptiennes doivent faire face maintenant ? Le fondamentalisme prend le contrôle du pays. Il y aura une grande guerre. Nous gagnerons mais cela prendra du temps. Je ne veux pas perdre plus de temps. je veux que les hommes me respectent maintenant. Q : Pensez-vous que les médias sociaux et internet ont joué et jouent un rôle dans la révolution ? Et y a-t-il des changements grâce aux médias sociaux en Égypte ? La révolution égyptienne dépend de Facebook. Avec Facebook, tout le monde peut dire tout ce qu'il veut. Maintenant les gens s'expriment librement et ont des amis sur Facebook. Facebook est très important dans la révolution, tout comme Twitter et tous les médias sociaux. Q : Que pensez-vous des femmes qui vous représentent au Parlement ? Les chaises sont plus utiles qu'elles. Vous pouvez utiliser une chaise, mais vous ne pouvez pas les utiliser. Elles sont un scandale. Q : Vous voyez-vous comme une révolutionnaire ? Oui. Je fais partie du mouvement Kefaya depuis 2005. Et avant cela au collège je participais déjà aux manifestations. Q : La situation des femmes maintenant est-elle mauvaise ou bonne ? Elle n'est pas bonne. Ce sont des esclaves. Elles se considèrent comme inférieures. Elles laissent les hommes les manipuler. C'est très mauvais. Elles laissent les hommes les manipuler au nom de Dieu. Q : Les femmes ont-elles été mises de côté après la révolution ? Les femmes existent toujours dans la révolution. Les médias ne veulent pas parler des femmes. Les femmes sont toujours sur la place Tahrir. La police a tué beaucoup de filles mais on ne parle pas de cela. Les hommes contrôlent les tribunaux, les médias et l'économie : c'est terrible. |