Rania Refaat Shaheen
“ Nous ne voulons pas être des citoyennes de seconde classe, nous sommes des citoyennes de première classe dans notre pays. ” Rania est une activiste politique et créatrice de EL PERGOLA, un théâtre de marionnettes de sensibilisation politique. Elle est membre du mouvement politique Kefeya. |
Un an après sa première entrevue, Rania continue le combat. Elle se bat pour que les femmes ne se taisent pas. Elle s'inquiète d'une société égyptienne aux accents de plus en plus ségrégationniste entre les hommes et les femmes. Elle s'interroge sur cette violence dont sont victimes les Égyptiennes. Facebook: elpergolapuppettheater |
Entrevue
Interviewée en anglais par Anthony Le Parc en mars 2012.
Traduction vers le français par Anthony Le Parc. Révision et correction par Tatiana Philiptchenko. Q : Votre théâtre de marionnettes a fait une représentation à Bayt al Sinari le 14 mars dernier (2013). Pouvez-vous m’en dire plus sur votre théâtre El Pergola? L’année dernière, vous espériez plus de travail pour votre théâtre, où en êtes-vous? C’était génial, beaucoup de gens se sont levés pour applaudir à la fin. La télévision, la radio et des journalistes étaient présents. J’ai démissionné de mon emploi précédent, et je travaille comme coordinatrice d’atelier depuis sept mois. J’ai décidé de me concentrer sur mon théâtre, car je crois que c’est un grand projet, je devrais me concentrer sur ça uniquement. Je peux gagner de l’argent avec l’Art. Actuellement, j’écris sur une pièce appelée « Le pays blanc et noir ». Toutes les marionnettes sont noires et blanches. Cela traite des ordures, et la population aime les ordures, un homme arrive d’une ville voisine, « la ville colorée », il vient pour faire du recyclage. Je m’inspire de la situation en Égypte, je parle des Frères musulmans, un des personnages porte une barbe et une galabiya (vêtement traditionnel), il demande à la population de chercher Dieu, d’être pauvre et de ne rien changer à leurs vies. Au final, les gens se rendent compte que c’est une ruse, ils découvrent qu’il n’y a plus d’ordure et ils font une révolution. J’ai écrit pratiquement 95 % de la pièce; dans deux semaines je pourrai la monter. Q : Avec votre théâtre El Pergola, essayez-vous de sensibiliser la population à la situation des femmes en Égypte? Bien sûr, j’ai écrit un scénario sur le harcèlement sexuel, mais je n’en ai pas encore fait une pièce. C’est aussi une comédie, j’aime le théâtre comique. Nous, les Égyptiens, nous aimons rire beaucoup, même quand nous ne sommes pas heureux ; nous faisons beaucoup de blagues. Q : Comment votre vie a-t-elle changé ou évolué ces deux dernières années? Elle n’a pas beaucoup changé. J’étais déjà membre du parti Kefaya, la politique n’est pas quelque chose de nouveau pour moi, je suis habituée à réclamer la justice. Mais j’ai rencontré de bonnes personnes après la révolution; j’ai vu beaucoup de jeunes gens comme moi, désireux de faire quelque chose. C’est très bien, nous nous aidons mutuellement. Les gens dans la rue comprennent beaucoup plus de choses maintenant. Je peux voir les changements, mais pas encore dans ma propre vie. Les portes sont toujours fermées, elles se sont légèrement ouvertes, mais pas beaucoup. Je pense que nous avons besoin de beaucoup plus de temps pour voir du changement. Q : La révolution est toujours en marche? Bien sûr, nous devrions nous débarrasser de la confrérie des Frères musulmans. Je suis heureuse de voir que les gens voient son vrai visage maintenant, car les Frères musulmans parlent de Dieu, mais ils ne savent rien de Dieu. Les gens les ont crus. J’avais crié que c’étaient des imposteurs : mais les gens pensaient que j’étais l’imposteur et que je n’étais pas croyante. Finalement grâce à Dieu, ils comprennent que les Frères musulmans ne sont pas des bonnes personnes. Q : Pensez-vous que plus les femmes s’impliquent, plus elles sont victimes de violence? En effet, mais la violence contre les femmes existait avant aussi, parce que les femmes sont traitées comme des chèvres. En Égypte, les hommes ne respectent pas les femmes. Heureusement, ils sont quelques-uns à nous respecter, notamment des jeunes gens. Quand ils nous ont vues être présentes partout, faire face aux armes tout comme eux, ils nous ont dit : « nous ne pensions pas que des filles pouvaient faire cela, nous ne pensions pas que les filles pouvaient » penser « à quoi que ce soit ». Sur la place Tahrir, les gens ont appris à se connaître. La violence sur la place Tahrir est une violence politique dirigée contre les activistes : c’est pour cette raison que nous portons de grands couteaux. Nous leur disons que nous ne rentrerons pas chez nous, que c’est notre pays, que nous avons le droit de manifester et de nous exprimer, et que si quelqu’un nous attaque, nous le tuerons. Le message prend plus d’ampleur chaque jour. Suite aux violences sur Tahrir à l’encontre des femmes, des femmes âgées se sont rassemblées en un groupe d’une cinquantaine, et elles ont marché dans les rues en brandissant des couteaux. Elles sont allées sur la place Tahrir et ont dit : « nous sommes là et nous voulons voir les hommes nous faire face ». C’était génial, elles n’étaient jamais allées sur Tahrir, ce ne sont pas des activistes, juste des femmes égyptiennes ordinaires. Je ne sais pas pourquoi les hommes détestent les femmes en Égypte. Q : L’attitude des femmes en Égypte a donc changé depuis le début de la révolution? Oui, et les hommes peuvent voir que les femmes peuvent utiliser leurs mains pour se battre. Ils peuvent voir que les femmes ne sont pas faites en pierre ou en métal, elles sont faites de sang et d’os. C’est bien. Quand quelque chose arrive à une femme, je suis heureuse. Avant les hommes nous disaient que les femmes étaient protégées, car personne ne pouvait les toucher. Ce n’est plus le cas maintenant, car les femmes sont considérées comme les égales des hommes par les forces de l’ordre vu qu’elles se font frapper aussi pendant les manifestations. Quand on me demande de rentrer chez moi, je dis : « le fusil n’a pas d’œil, il peut vous tirer dessus ou il peut me tirer dessus : nous sommes donc égaux ». Ce n’est pas parce que vous êtes un homme que vous êtes un dieu. Q : Pensez-vous que le harcèlement sexuel est uniquement une question de frustration sexuelle masculine? La violence sexuelle est très compliquée. Les harceleurs peuvent avoir 8 ou 10 ans. Tout le monde devient fou. C’est pour cette raison que je dis : « je ne comprends pas pourquoi les hommes détestent ainsi les femmes ». Je crois que cela peut venir des messages religieux récités dans les mosquées. Je suis croyante, j’ai fait le Hadj, je prie. Et je suis allée quelquefois prier à la mosquée, j’y ai entendu des choses contre la femme : qu’elle est inférieure, qu’elle ne devrait pas travailler... certains hommes pensent que nous ne devrions pas vivre. Les femmes arrêtent de parler, elles ont peur de perdre les hommes. Alors je parle aux femmes dans le métro, je leur dis qu’elles ne devraient jamais s’arrêter de parler, elles devraient se dresser contre ça. C’est un gros problème, car la femme pense qu’elle est inférieure en Égypte. Même quand des hommes bons disent aux femmes qu’elles ne le sont pas, les femmes ne partagent pas cet avis. Elles pensent que Dieu sera bon avec elles, si elles sont inférieures. L’autre problème, c’est la pauvreté. La femme n’a pas d’argent, elle dépend de l’homme financièrement. Il n’y a aucune justice pour la femme. Elle n’est qu’un objet pour le public, toutes les femmes qui marchent dans les rues appartiennent à n’importe qui. J’ai mis en place une campagne appelée « attrape ton marteau et sauve ta dignité » : quand je suis dans la rue, je tiens à la main un marteau, comme je tiendrai un cellulaire, les gens me regardent (comme surpris) et les hommes ne peuvent dire aucune parole déplacée. Il n’y a aucun contact visuel, aucune agressivité. J’envoie un message : je marche, respectez les femmes, mais si quelqu’un s’avise de me toucher ou de me regarder, je peux l’utiliser. Dès que je suis dans la rue, je prends mon marteau. (lire la suite à droite) |
Un jour, nous étions dans le métro, dans l’une des voitures réservées aux femmes, quelqu’un me demanda pourquoi je portais un marteau, je lui ai répondu que c’était pour me défendre contre le harcèlement. La personne me répondit : « vous pouvez blesser un harceleur », et j’ai dit : « non je peux le tuer ». Je m’en fous de le blesser, je veux le tuer. S’il m’ennuie, je l’utiliserai. Avec ça, j’ai du pouvoir. Un jour, j’ai mis mon marteau dans mon sac, un de ses vendeurs ambulants dans la rue m’a demandé : « Basha, où est ton marteau ? », et le jeune homme près de lui a dit : « elle est courageuse, personne ne peut la toucher, je l’aime bien ». Quand je marche, j’entends des choses comme « révolution, révolution ». Je n’aime pas les voitures réservées aux femmes dans le métro. C’était nécessaire avant , mais maintenant c’est comme « va ta dans ta voiture, ne viens pas dans la nôtre ». Quand j’entends : « pourquoi viens-tu ici, c’est la voiture pour les hommes », je réponds qu’il n’y a pas de voiture pour les hommes, c’est pour les hommes et les femmes, mais il y a deux voitures pour les femmes ». J’ai écrit sur Facebook que j’étais contre les voitures réservées aux femmes, que je n’irais pas dans ces voitures, car c’est une façon d’éviter de côtoyer des femmes dans les transports publics. Ça créé de la ségrégation. Aujourd’hui en Egypte, il commence à y avoir des cafés uniquement pour les femmes : c’est une tendance dangereuse. J’ai le droit d’aller où je veux. Quand ils me disent qu’il y a une voiture pour les femmes, je réponds : « vous avez le cerveau vide, vous voulez ce que les femmes ont, vous ne voulez pas qu’elles aient quoi que ce soit ». Les hommes se comportent comme des enfants, ce ne sont pas des adultes. Q : Avec le théâtre, vous jouez aussi en extérieur, dans les rues? Oui, à la station d’autobus, et dans des endroits publics. Parfois, il y a des salafistes, qui se battent contre nous, car nous sommes mélangés garçons et filles. Je leur dis de dire à Dieu de diviser la terre en deux, ici sont les femmes et là les hommes et au milieu qui êtes-vous? Je les traite de fous, c’est nécessaire de connaître l’autre, c’est nécessaire de connaître ce qu’il a dans la tête et son esprit... ou à moins que vous vouliez être lesbiennes ou homosexuels, car vous ne voulez pas connaître l’autre. Et l’Islam interdit l’homosexualité, alors que faisons-nous ? Ce n’est pas logique. Nous voulons tous des changements maintenant, parce que c’est le moment, ce sont nos vies. Parfois, nous disons que ça suffit, nous voulons profiter de nos vies. Tout particulièrement, ceux qui se sont investis en politique avant la révolution, cela fait des années et ça suffit. Je veux être capable de faire ce que je veux, je veux rencontrer mon homme, être comme tout le monde, mais tu ne peux pas être comme tout le monde. Q : Avez-vous voyagé en dehors de l’Égypte? Non. J’ai été accepté à une maitrise en droit de l’homme à l’Université de l’Ohio pour y étudier deux ans, et je devais revenir au Caire pour enseigner deux ans à l’Université américaine. Mais j’ai refusé. C’était il y a quelques années, je me questionnais beaucoup sur mon avenir : devrais-je être avocate ou faire ce dont j’ai vraiment envie? J’ai refusé parce que je ne voulais pas aller en Ohio, et parce que je ne voulais pas être enseignante. Je voulais être une artiste. Mes amis et ma famille ont pensé que j’étais folle. Mais je pense que je devais vivre comme je le veux. Mon père et ma mère n’aiment pas l’idée que je sois une artiste, ils veulent que je sois avocate, que j’aie une bonne carrière. Ma mère veut que je me marie. Je leur ai dit : « je n’ai pas à faire ce que vous voulez, c’est votre rêve pas le mien ». Je suis à la recherche de mon âme sœur. Q : Le poids de la tradition et de la famille est très important sur les filles en Égypte. Cela a-t-il changé avec la révolution? Ça a changé. Depuis la révolution, les parents respectent plus leurs enfants. Maintenant, les filles peuvent dire : « Je vais intégrer ce parti (politique), je vais agir sur le développement de mon pays ». Les portes sont un peu plus ouvertes. Ils ont l’impression que nous avons besoin les uns des autres. Les filles devraient s’impliquer, car nous avons besoin d’elles. Les gars sur Tahrir disent que tout aurait été si différent sans l’implication des filles, « nous ne continuerions pas si vous n’étiez pas là ». En fait, ils voient les filles ou les femmes se battre, être blessées et rester, et ils ont honte. Ils ont honte de voir que les filles ne rentrent pas chez elles, restent dans le froid. Malgré les critiques des gens, elles continuent de se battre. Q : Les politiciens égyptiens agissent-ils pour améliorer les droits des femmes? Non, bien sûr que non. Les Frères musulmans contrôlent l’Égypte, et ils ne font rien pour les femmes. Ils ne pensent pas à nous, nous sommes juste utiles pour l’amusement. Q : Quelles sont vos attentes quant au futur des femmes en Égypte? Cela dépend des luttes. Je pense qu’elles en ont assez des hommes. Je n’ai jamais entendu une femme égyptienne ne pas se plaindre d’eux, qu’elle soit mariée, qu’elle ait un fiancé ou qu’elle soit célibataire. Les hommes deviennent comme des personnages de dessins animés : ils ne disent rien et n’ont rien à donner. Ils sont pauvres d’esprit. Je suis vraiment désolée pour eux. Ce ne sont pas de vrais hommes. Q : Avez-vous envisagé une carrière politique dans le futur? Non. Je ferai de la politique de loin, parce que je ne pas une bonne négociatrice. Je suis une artiste révolutionnaire. Je ne suis pas une artiste politique. Je suis une artiste, et c’est que je veux. Je crois que les gens m’acceptent comme artiste, et comme une artiste révolutionnaire. Ils savent que ce n’est pas de l’art ordinaire, c’est de l’art engagé. Q : Pendant la révolution, les graffitis ont envahi les murs du Caire. Ils étaient utilisés pour faire passer des messages. L’Art est vraiment important ? Les Frères musulmans deviennent fous, ils ne peuvent pas faire ce que nous faisons, ils ne peuvent pas s’exprimer comme nous le faisons. À Port-Saïd, la population fait des choses incroyables pour exprimer cette désobéissance civile : les gens jouent au foot pour dire à Morsi : « nous ne rentrerons pas à la maison à 21 h ».La créativité est très importante dans la révolution, ce n’est pas uniquement les manifestations et les bagarres. Q : Que pensez-vous de l’annulation des élections législatives? Nous ne voulons pas d’élections. Les dés sont pipés. La confrérie distribuera à la population de l’huile et du riz. C’est toujours la même chose : beaucoup d’argent et de temps. Nous voulons en finir avec la confrérie des Frères musulmans. Nous voulons nous battre. J’accepte la violence parfois, j’accepte de tuer des gens. Mais le problème avec les frères musulmans c’est qu’ils sont . S’ils disent que les femmes ne peuvent pas descendre dans les rues, ou qu’ils frapperont les femmes et les hommes qui se tiendront côte à côte, nous sommes prêts à leur répondre. Nous sommes arabes et nous sommes l’Égypte, une grande nation du Moyen-Orient. Si nous avons l’opportunité de voyager en Europe ou en Amérique, la plupart d’entre nous ne la prendront pas. Nous ne voulons pas être des citoyens de seconde classe, nous sommes des citoyens de première classe dans notre pays. Nous avons beaucoup de choses ici, nous sommes riches. Nous ne voulons pas un autre pays, nous aimons l’Égypte, nous respectons notre pays et notre culture. Nous ne sommes pas un pays pauvre. Nous devrons payer le prix de la révolution. |