Nihal Saad Zaghloul
“ Cette révolution ne s'est pas terminée avec la chute de Moubarak. La révolution continuera peut-être jusqu'au moment ou nous serons capables de nous tenir sur nos jambes ... ” Nihal (26 ans) est une responsable informatique et une activiste, avec une formation en électronique et génie des communications. Elle est la fondatrice du mouvement Imprint, un mouvement volontaire visant à changer les idées fausses [idées reçues] dans la société égyptienne. |
Nihal explique que les femmes deviennent plus fortes, mais que les traditions et la famille font pression sur elles. Son mouvement, Imprint movement, doit se battre pour intégrer des femmes dans ses activités. Blog : http://zaghaleel.wordpress.com/ Twitter : @nihalsaad Imprint movement : http://www.facebook.com/Imprint.Movement.eg |
Entrevue
Interviewée en anglais par Anthony Le Parc en mars 2013.
Traduction et adaptation vers le français par Anthony Le Parc. Révision et Correction par Tatiana Philiptchenko. Q : "Imprint movement" est un groupe social qui lutte contre des éléments nuisibles à la société, notamment les problématiques des enfants des rues et du harcèlement sexuel des femmes. Pouvez-vous m'en dire plus sur cette initiative citoyenne ? "Imprint movement", ou "Bassma" en arabe (empreinte), est un mouvement social. Nous n'avons aucune appartenance politique ou appartenance religieuse, c'est strictement social et tous nos membres doivent s'y plier, qu'importe leur idéologie, ils la mettent de côté et quand ils intègrent le mouvement nous sommes tous ensemble, nous ne formons qu'un. Nous avons, dans le mouvement, des Frères musulmans, des libéraux, des socialistes, nous avons de tout au fond. Le membre le plus jeune a 15 ans et le plus âgé a 30 ans. Donc nous nous assurons de rejeter tout élément perturbateur adversité, et d'avoir un objectif commun : c'est sur quoi nous travaillons pour faire changer les choses. Nous souhaitons changer beaucoup de choses : de l'analphabétisme aux enfants des rues, du harcèlement sexuel à la sensibilisation des droits civils. Mais ce que nous voulons maintenant, ce sur quoi nous travaillons c'est le harcèlement sexuel des femmes. Notre approche sur le harcèlement sexuel est purement basée sur les droits humains, et non sur la religion, ce n'est rien de tout ça. Notre discours est le suivant : "convaincre une personne à la fois" ; par exemple, ces deux derniers mois nous avons organisé une campagne de sensibilisation dans le métro ; les gens que nous avons rencontrés nous ont dit : " les femmes devraient être couvertes, parce que l'Islam l'exige". Nous leur avons répondu d'accord, mais selon l'Islam un homme n'est pas supposé regarder, il est supposé (is supposed to look nonetheless to actually say and touch her). À partir de là, vous retirez toute référence au religieux pour baser votre discours sur une rhétorique sociale qui a du sens. C'est le problème des hommes, pas celui des femmes. Ce n'est pas de la faute de la femme égyptienne, ce n'est pas important ce qu'elle porte, même si elle marche nue dans la rue, vous n'avez pas le droit de la toucher ou de lui parler, de lui faire quoi que ce soit. Et cela emmerde certains dans les rues, mais on s'en fout, nous les prenons à part tranquillement et gentiment jusqu'à les convaincre. Q : Avez-vous constaté des progrès depuis le début de "Imprint movement" ? Nous avons constaté des progrès. Je pense que beaucoup de personnes ont changé, en particulier chez les femmes. Les femmes se sentent maintenant plus puissantes, elles parlent du harcèlement sexuel, et nous ne nous concentrons pas sur le harceleur, mais sur les passants et les femmes. Nous rencontrons les femmes au début, car nous avons besoin que les femmes parlent. Ce n’est pas correct si les femmes ne parlent pas, donc nous avons vu beaucoup de choses, tout particulièrement dans le métro : car dans le métro il y a un wagon réservé pour les femmes et des wagons pour les hommes; certains hommes vont dans le wagon féminin pour harceler ou pour faire des choses stupides, nous avons pu voir de plus en plus de femmes se rebeller contre cela : "c'est notre voiture, sortez ". Notre groupe d’activistes est content de ce premier résultat. Malgré tout, pour être vraiment honnête, je n'aime pas trop toute cette histoire de wagon pour femmes et pour hommes, c'est de la ségrégation au sein de la société. Je crois que ce système doit être maintenu le temps que les mentalités changent. L'autre chose qui fonctionne très bien : c'est le partenariat avec la police ; nous travaillons avec le gouvernement, c'est l'un de nos principes de base, nous avons besoin de travailler avec le gouvernement pour nous aider à arrêter ces phénomènes de societé, sinon nous ne pourrons pas nous en sortir. C'est pourquoi je vais toujours à la police et je leur demande d'envoyer des agents avec nous au cas où un harcèlement ait lieu et que la femme souhaite remplir un rapport; ainsi ils peuvent procéder à l'interpellation. Deux semaines après avoir fait notre première campagne dans le métro, la police a organisé une campagne identique à la nôtre. Ils ont ensuite mis en place une hotline (une assistance téléphonique) dans le métro contre le harcèlement, les voleurs et autres.... La police était très coopérative: ils sont venus, ils ont travaillé avec nous et ont effectué quelques interpellations. Ce qui se passe en Égypte face au harcèlement des femmes devient socialement inacceptable. Nous avons commencé à travailler il y a six mois seulement. Q : Donc vous travaillez avec la police, mais travaillez-vous avec d'autres groupes comme Tahrir Bodyguard lors de manifestation ? Nous ne nous engageons pas dans des évènements politiques, nous ne nous occupons pas de sécurité pendant les manifestations. Ce que nous essayons d'éviter absolument :c'est d'être catalogué, nous voulons juste garder cette étiquette d'Égyptien. Nous parlons et nous connaissons les regroupements citoyens de Tahrir Bodyguard et Operation Anti-Sexual Harassment (OpAntiSH). Nous nous entraidons à faire circuler le message, mais nous ne travaillons pas officiellement avec eux. Q : Qu'avez-vous ressenti en découvrant la violence contre les femmes lors du deuxième anniversaire de la révolution en janvier 2013 ? Pensez-vous que plus les femmes s'engagent, plus elles sont victimes de violences ? J'étais indignée, nous étions tellement en colère par ce qui était arrivé aux femmes sur la place Tahrir et partout ailleurs en Égypte. Mais ce qui leur est arrivé là-bas est un résultat naturel, car cela est arrivé aux femmes pendant des années en dehors de Tahrir : sur leur lieu de travail, dans les transports publics, dans la rue, avec la violence conjugale bien sûr. Actuellement, cette violence a lieu, car nous nous battons de manière plus intense qu'avant, et c'est pour cela que la réaction est également plus violente. Bien sûr, nous vivons dans un système très oppressif, et les femmes sont toujours le dernier maillon de la chaine, elles sont toujours les plus opprimées. Q : Vous et des ami(e)s avez été attaqués en juin 2012 sur la place Tahrir. Que s'est-il passé et comment vous êtes-vous sentie après ? Nous étions cinq personnes, trois filles et deux garçons, et rapidement il y eu beaucoup de monde, les gens ont commencé à nous bousculer (pushing us around). Nous nous sommes retrouvés séparés les uns des autres, chaque fille seule et les gars se sont retrouvés bloqués pour être battus au milieu de la foule. Il y avait deux hommes, ils n'arrêtaient pas de me dire : "ne t'inquiète pas, je vais t'aider". Ils étaient avec les Frères musulmans et ils disaient : "je suis avec Morsi, je suis un partisan de Morsi, je vais t'aider". Puis, l'un deux m'a jetée derrière le kiosque, et c'était tout pour moi. En ce qui concerne mon amie, ils ont formé une chaine humaine autour d'elle et ils n'arrêtaient pas de dire eux aussi : "ne t'inquiète pas, nous sommes des partisans de Morsi, nous allons t'aider". Mais ils l'ont pelotée et même plus que peloter. Quant à moi, le premier gars a tiré sur mes vêtements et a arraché mon voile. Mon amie ,elle, a été amenée dans une ruelle; selon elle, ils étaient environ une cinquantaine d'hommes à arracher ses vêtements, à baisser son pantalon. En fin de compte, ils l'ont emmenée dans (lire la suite à droite) |
un immeuble, et un des habitants de cet immeuble est descendu avec un bâton et a commencé à les frapper jusqu'à ce qu'ils s'enfuient. Elle a été conduite dans l'appartement d'une famille. Au même moment, j'ai sauté par-dessus une barrière, et j'y suis retournée, car je ne savais pas où elle se trouvait, je ne savais pas si elle allait bien, si elle était en sécurité. Je suis montée dans l'immeuble et je suis restée avec elle jusqu'à ce que j'appelle mes amis pour voir si c'était sécuritaire en bas, ils m'ont répondu que oui. Nous sommes donc descendues et je l'ai ramenée à la maison. Le jour suivant, nous sommes allées à l'hôpital, mais il n'y avait aucune blessure externe, aucune lésion permanente si ce n'est, bien entendu, des blessures psychologiques pour elle.
J'ai eu très peur, je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie. Mais j'ai pensé que cela ne devrait pas nous arrêter; beaucoup de personnes m'ont soutenue. Mais pour être honnête, je ne suis jamais retournée à une manifestation sur Tahrir après cette journée et je n'essaierai même pas. Je me bats plus contre des problèmes sociaux que contre des problèmes politiques, je ne me battrai pas dans l'arène politique. Q : Pensez-vous que le harcèlement sexuel est uniquement un problème de frustration sexuelle des hommes ? Je ne crois pas que ce soit de la frustration sexuelle. C'est une question de domination, c'est une bataille de pouvoir. L’homme veut se prouver à lui-même et aux autres qu'il est plus puissant, et que la femme est plus faible. Les femmes ne sont pas les seules victimes de harcèlement sexuel, les hommes et les enfants en sont victimes aussi . L’homme n'est jamais le coupable. En effet, quelque part, il est vu comme un héros lorsqu'il corrige une femme qui n'est pas voilée et pas assez bien pour être une musulmane. En vérité, à mon avis, c'est un raisonnement sans fondement valable. Donc oui, pour moi cela ne vient pas d'une frustration sexuelle, c'est sans ambiguïté une menace pour avoir le pouvoir. Peut-on parler de pression sociale sur les hommes ? On peut parler de pression exercée par l'entourage. Un de nos membres a dit qu'il avait vu un père demander à son fils d'aller harceler une femme pour prouver qu'il est un homme. Dans le passé, on prouvait que l'on était un homme en ayant beaucoup de petites amies, en fumant, ou en prenant de la drogue..., mais maintenant c'est en harcelant une fille. Q : L'attitude des femmes a-t-elle changé depuis le début de la révolution ? Si oui, comment ? Aujourd’hui, les femmes égyptiennes parlent plus, elles ne répriment plus ce qui a pu leur arriver, les choses commencent à sortir. En fait, je crois que beaucoup de femmes ont été endoctrinées à croire que le harcèlement sexuel qui leur arrivait était de leur faute. Elles pensent qu'elles sont juste faites pour se marier et avoir des enfants, et être présentes pour leur mari. Rendre les femmes plus autonomes est une grande partie de notre campagne de sensibilisation "vous êtes une femme, vous devriez être capable de faire tout ce que vous voulez". Q : Le poids de la tradition et de la famille sur les filles est très important en Égypte. Cela a-t-il changé depuis la révolution ? Je ne pense pas que cela ait changé. Je crois que les femmes deviennent plus fortes ; la révolution leur a donné plus de liberté, mais il n’ y a pas de changement réel dans leur quotidien. Chez Imprint, nous avons du mal à recruter des femmes, le mouvement est en fait majoritairement composé d'hommes. La raison est que beaucoup de nos membres féminins subissent des pressions de la part de leurs parents et de leur famille, ils estiment qu'elles ne devraient pas travailler dans ce genre d'organisation, qu'elles ne devraient pas se mettre en danger. C'est pourquoi nous luttons pour avoir des femmes parmi nous, et nous nous battons pour obtenir des fonds, car la plupart des investisseurs disent que si nous travaillons pour les droits des femmes, alors la majorité de l'équipe doit être composée de femmes. Nous venons de nous faire refuser une subvention parce que notre conseil d'administration est un mélange de femmes et d'hommes. Les bailleurs de fonds estiment qu’une organisation comme la nôtre doit être composée de femmes ; je ne suis pas d’accord, car nous croyons aussi que ce ne sont pas juste les femmes qui se battent pour leurs droits, mais c’est une société entière qui doit se battre pour les droits des femmes. Nous ne pouvons pas réussir seules, nous avons besoin de la participation des deux genres. Q : Les politiciens égyptiens agissent-ils pour les droits des femmes ? Non. Pour commencer, les femmes ne sont pas considérées comme des êtres humains. Les hommes pensent : "Nous aurons nos droits en premier, on nous rendra justice en premier, et ensuite vous pourrez avoir les vôtres", mais ça n'arrive pas pour nous. Beaucoup de gens se battent actuellement, y compris moi-même, pour faire participer les femmes dans l'arène politique. Q : Comment les évènements actuels s'intègrent-ils dans l'évolution générale de la révolution ? C'est juste la continuité de la révolution. Cette révolution ne s'est pas terminée avec la chute de Moubarak, ça continue. La révolution continuera peut-être jusqu'au moment ou nous serons capables de nous tenir sur nos jambes et d’avoir une économie forte et un système politique juste pour tous les citoyens. Q : Je crois connaître déjà la réponse (sourire), vous voyez-vous dans une carrière politique dans le futur ? Non (rires). Je veux être une éducatrice. Je veux être d'une manière ou d'une autre dans l'éducation. Je suis en train de postuler pour une maîtrise en éducation pour pouvoir développer des programmes d'études pour aider les étudiants. Actuellement, nous travaillons sur des programmes pour une campagne dans les écoles, des programmes qui prôneront la tolérance, l'égalité, le respect et qui expliqueront comment créer un dialogue.Il est entendu que les femmes en seront les premières bénéficiaires. Par la suite, nous nous concentrerons sur les écoles primaires, nous essaierons de mettre en place des ateliers ludiques (fun workshops), en impliquant les élèves, garçons et filles, à interagir ensemble, ainsi ils apprendront à communiquer ensemble. Très souvent, nous avons l'impression, à cause de cette ségrégation, que les femmes deviennent des extraterrestres, tout comme les hommes, et nous ne savons pas ce qui se passe. Notre projet est que les filles et les garçons communiquent entre eux. |