Dina Abou El Soud“Je sais bien que les révolutions ne se font pas en un jour. On ne peut pas encore dire si cela a échoué ou pas, parce que nous y sommes toujours.” Dina Abou El Soud est propriétaire d'une auberge et une activiste pour le droit des femmes. Elle est la fondatrice de la Coalition des femmes égyptiennes révolutionnaires. |
Dina décrit les difficultés d'être chef d’entreprise dans une société patriarcale. Elle explique comment les femmes ont participé à la révolution et comment le soulèvement a transformé sa vie. Dina partage ses idées pour changer les mentalités des Égyptiens. Blog : http://dinashostel.wordpress.com Twitter : @DinasHostel |
Entrevue
Interviewée en anglais au Caire en avril 2012 par Tatiana Philiptchenko.
Traduction et adaptation vers le français par Anthony Le Parc. Révision et correction par Christine Brien Kilian et Tatiana Philiptchenko. Q : Quand avez-vous commencé à être active sur la place Tahrir et pourquoi ? J'ai commencé à être active sur Facebook et j'y ai partagé des choses après la mort de Khaled Saïd (le jeune égyptien tué par des policiers à Alexandrie le 6 juin 2010). J'ai commencé à être pas mal active et à partager des choses sur Facebook. Puis, je suivais la révolution silencieuse. Et quand je prenais des taxis, je parlais avec les chauffeurs qui ne savaient pas grand-chose de ce qui se passait dans le pays et sur Internet. C'est ainsi que les chauffeurs de taxi sont devenus mes messagers, je faisais passer le message aux autres à travers eux. J'ai commencé à me rendre sur la place Tahrir le 28 janvier 2011. C’est là que j'ai commencé à manifester et à être une militante. J'essayais d'apprendre plus de choses et d'aller de l'avant. Avant, j'étais trop occupée par ma vie professionnelle. Mais toute ma vie j'ai combattu le patriarcat, j'ai essayé de briser les stéréotypes (Dina se réfère à son ancien emploi de guide touristique et à son activité actuelle de propriétaire d'auberge). Q : Où étiez-vous le 11 février 2011, quand le départ de Moubarak a été annoncé ? J'étais dans mon auberge située au centre-ville du Caire, quand l’annonce a été faite à la télévision que Moubarak était parti. Le jour précédent était triste et déprimant, car il avait annoncé qu'il ne partirait pas. Des jeunes hommes pleuraient sur la place Tahrir. C'était simplement trop triste pour moi, je suis donc rentrée à l'auberge. Ici à l'auberge, nous savions que Moubarak allait faire une nouvelle allocution, mais ce fut Omar Souleiman qui fit la déclaration à la place de Moubarak et il annonça que Moubarak partait. Nous avons couru vers la place Tahrir. J'étais sous le choc. Je ne pouvais pas croire qu'il était parti. Dans un premier temps, je n'ai pas du tout réagi. C'était trop beau pour être vrai. Q : Après plus d'un an, avez-vous l'impression que les femmes ont bénéficié de la révolution ? Je ne pense pas que les femmes aient vraiment bénéficié de la révolution. Au parlement, le quota de femmes a été supprimé. Les gens disent que toutes les lois en faveur des femmes, désignées comme les lois de Suzanne Moubarak, doivent être supprimées. La seule chose c'est que les ONG et les groupes de femmes commencent à travailler ensemble. Il commence à y avoir différentes coalitions de groupes de femmes. Q : Quel est l'impact de la révolution sur votre vie ? La révolution a rendu ma vie encore plus occupée (sourire). La révolution a fait que je me suis impliquée en politique. Avant, je n'étais pas impliquée en politique. J'avais des amis qui l'étaient, mais pas moi. J'estimais que c'était leur travail et que le mien était de faire marcher mon entreprise. Je travaillais tout le temps et je dirigeais mon auberge. Après la révolution et le soulèvement, je suis maintenant complètement impliquée. La question des droits des femmes est également une préoccupation pour moi. Bien que les femmes soient allées sur la place Tahrir, certaines personnes ont voulu les mettre de côté. C'était très agaçant. Après la révolution, tout le monde disait : “ j'ai fait la révolution ” - tout le monde voulait s'attribuer le mérite de la révolution. Comme certaines femmes ne représentaient pas un parti, elles étaient exclues. Beaucoup de femmes souhaitaient faire partie de la Coalition Jeunesse mais ceux qui la dirigeaient ne voulaient pas partager la vedette avec elles. Suite à ça, deux amies et moi avons décidé de constituer une coalition de jeunes femmes autour du 14 février 2011. Beaucoup de gens nous critiquaient : ils disaient que nous voulions nous séparer des autres, et nous demandaient pourquoi. Tout simplement parce que nous n'avions aucune place dans la coalition d'origine. Mais après un certain temps, tout le monde étant très occupé à autre chose, cette nouvelle coalition s'est désagrégée. Je la prenais toujours au sérieux, mais je ne savais pas vraiment quoi faire. Finalement, j'ai constitué mon propre groupe de femmes qui essaye d'atteindre les points suivants : encourager beaucoup de groupes de femmes à se réformer, influencer les ONG de femmes pour mettre dans leur agenda des programmes de sensibilisation politique auprès des femmes (ce qui ne se faisait pas avant). (lire la suite à droite) |
Q : Quel est le principal objectif de votre groupe ? La participation politique des femmes et en général tout ce qui à trait à l'autonomisation des femmes. Nous voulons changer notre culture de manière positive. Par exemple, nous avons le problème du harcèlement sexuel. Nous voulons changer la manière dont les femmes sont perçues. Q : Pensez-vous que les femmes auront plus de droits ou moins de droits dans le futur en Égypte ? Je ne suis pas sûre. Nous ne savons pas où le pays s'en va. Si les islamistes prennent le dessus, les droits des femmes et les droits humains reculeront et nous pourrions devenir comme le Soudan ou l'Iran. Si nous les Égyptiens pouvons faire en sorte de travailler tous ensemble et mettre l'Égypte sur le bon chemin, ça ne devrait pas prendre trop longtemps pour devenir un bon pays. En Égypte, il y a des islamistes, mais pas tant que ça. À mon avis, notre principal problème c'est l'économie. En fait, c'est ce qui a porté les islamistes au pouvoir. Les gens pensent que s'ils mettent au pouvoir quelqu'un qui ne volera pas, ça ira bien (allusion à Moubarak et aux dirigeants de l'ex-régime qui ont dévalisé le pays). Mais un groupe de gens avait tout et les autres rien. Néanmoins, je crois que ce n'est pas la seule chose à prendre en considération. Mais maintenant que les islamistes sont au parlement, beaucoup de gens vont être déçus par les islamistes. Q : D'après vous, quels sont les facteurs qui contribuent au ralentissement du développement des femmes en Égypte ? Je pense que le principal élément est bien plus la mentalité des gens que les lois. Et c'est un problème culturel. Par exemple : même lorsqu'une femme est harcelée dans notre pays, c'est de sa faute. Les gens se demandent pourquoi cette femme était dehors et ce qu’elle portait (sa tenue vestimentaire). Donc même quand elle est victime, elle est coupable. C'est pour ça que la mentalité est un énorme problème. Je crois que c'est très grave. Par exemple, la plupart des gens choisiront un homme comme candidat au lieu d'une femme. Nous venons de fêter le jour de la femme égyptienne (mon groupe a organisé cet évènement) et maintenant les médias en parlent, ce qui est positif. Notre cible ce sont les jeunes enfants : nous voulons changer la vision qu’ils ont des femmes. Ils sont le futur de notre pays. Nous devons commencer à travailler avec la jeune génération maintenant, changer leurs stéréotypes avant qu'il ne soit trop tard. J’étudie ces jours-ci dans une université publique et je réalise que les jeunes gens qui sont avec moi en cours ne connaissent pas grand-chose et ont une réflexion passéiste. Beaucoup de jeunes n'ont pas accès à Internet et ne peuvent pas se le payer. Et ils ne savent pas non plus comment utiliser Internet pour faire des recherches. Q : La situation des femmes égyptiennes est-elle bonne ou plutôt mauvaise ces jours-ci ? Elle est très mauvaise. Les femmes n'ont rien obtenu. En fait, elles pourraient plutôt avoir perdu des choses avec la révolution. Q : Les partis au pouvoir sont-ils prêts à donner aux femmes un rôle important en politique, en économie et dans le monde universitaire ? Ici en Égypte, les hommes pensent que s'ils donnent des droits aux femmes, ils enlèvent ces droits aux hommes. L'égalité signifie dans notre société : enlever des droits aux hommes. Le manque d'opportunités pour tout le monde rend les hommes fous. Par exemple : l'homme pense que si la femme travaille, elle lui prendra son travail. Notre principal problème ici en Égypte, c'est l'économie combinée avec l'Islam, avec la religion, avec les femmes, avec tout. L'origine de nos souffrances vient en grande partie de l'économie. Q : Vous brisez de nombreux stéréotypes vous-même, comment les gens réagissent à ça ? Maintenant que je suis chef d’entreprise, les gens perçoivent cela positivement. Mais avant, c'était très dur. J'ai dû changer ma personnalité et devenir plus dure de façon à obtenir des gens ce que j'avais besoin qu'ils fassent. Q : Beaucoup de gens disent que la révolution égyptienne est une révolution ratée, qu'en pensez-vous ? Je ne suis pas une personne cultivée, mais cela fait juste un an et je sais que les révolutions ne se font pas en un jour. On ne peut donc pas encore dire si cela a échoué ou pas, parce que nous y sommes toujours. |