EntrevueInterviewée en anglais au Caire le 7 mai 2012 par Tatiana Philiptchenko.
Traduction et adaptation vers le français par Anthony Le Parc. Révision et correction par Tatiana Philiptchenko. Q : Où étiez-vous le 25 janvier 2011 ? En fait, tout a commencé pour moi le 24 janvier quand nous nous sommes mis d'accord avec d'autres manifestants pour protester devant le syndicat des journalistes le 25 janvier 2011. Le 25, nous manifestions comme prévu contre le régime, contre la falsification des élections et contre la répression des journalistes. Donc ce jour-là à midi nous avons marché vers la place Tahrir. Nous pensions rester sur la place Tahrir jusqu'à 17 h ou 18 h et puis on se serait dispersé. Mais certaines personnes ne voulaient pas rentrer. Les autorités nous encerclaient et nous aspergeaient de bombes lacrymogènes pour évacuer Tahrir. Il était pratiquement minuit et nous continuions à manifester. Le métro avait été fermé. Personnellement, je pensais partir car je voyais la situation dégénérer et j'ai des enfants. Mais l'enthousiasme de femmes plus jeunes que moi et l'exemple des jeunes hommes qui protestaient m'ont poussé à rester. Mais je n'ai pas passé toute la nuit à Tahrir et je suis partie à 3h du matin le 26 janvier 2011. À 8h du matin le 26 janvier 2011, je suis retournée devant le syndicat des journalistes et je suis restée là-bas jusqu'à 15h. Les autorités ont encerclé le syndicat des journalistes ; ils nous laisseront y entrer mais pas en sortir. Nous criions nos slogans. Les passants appuyaient notre manifestation. Soudainement un passant s'est joint à nous. Les autorités l'ont battu devant nos yeux. À un moment donné, nous avons commencé à sentir les gaz lacrymogènes, nous voulions descendre la rue pour rejoindre la place Tahrir. Quelques très violentes altercations eurent lieu entre des journalistes et les autorités. Et quelques journalistes (femmes et hommes) furent blessés. Mais nous avons réussi à sortir et ce fut la première fois que je passai la nuit entière sur la place Tarhir. Le 27 janvier, le nombre de manifestants avait vraiment augmenté. Il n'y avait pas que des jeunes gens mais aussi des citoyens plus âgés et des femmes avec leurs enfants. Ce jour-là les autorités sont devenues encore plus agressives. Nous passions notre journée à faire des allers et retours entre le syndicat des journalistes et la place Tahrir. Certains de nos collègues journalistes ont été arrêtés. Les autorités nous laissaient quitter le syndicat, mais dès que nous nous retrouvions dans la rue ils nous embarquaient dans un véhicule de police. Le 28 janvier, les lignes téléphoniques ont été coupées. Je ne pouvais pas contacter mes camarades mais j'ai continué à me rendre à la place Tarhir. Il y avait un chaos organisé par les autorités et nombre de comportements agressifs. Les autorités agissaient de manière stupide. Ça c'était le dimanche de la colère. C'est le jour où des armes à feu ont été utilisées contre les manifestants. Nous avons vu des gens tomber juste à côté de nous. À un moment donné, il y avait un jeune copte à côté de moi. Nous courrions vite et nous nous protégions car on nous tirait dessus. Je suis tombée et me suis blessée au genou, mon pantalon était déchiré. Le jeune copte m'a donné de l'eau et une serviette pour nettoyer ma blessure. Quand nous nous sommes dirigés vers Tarhir, nous avons parlé un peu : il m'a dit que son prénom était Michael et qu'il avait 26 ans. Il avait fini ses études 4 ans plus tôt et il n'avait jamais adhéré à un parti politique ou participé à une manifestation. Il était debout devant moi et tout d'un coup, il s'est effondré sur le sol... on lui avait tiré dans le dos. Dieu merci, il s'est rétabli maintenant mais d'autres ont laissé leurs vies à Tarhir. Ce même jour : il y a eu une autre grosse surprise : les autorités se sont retirées et les prisons ont été vidées. Je suis rentrée à la maison pour m'occuper de mes enfants. Je suivais tout à la télévision. Je ne croyais plus en l'Égypte. C'était un vrai traumatisme de voir ce pays en feu, les immeubles saccagés et les gens morts. Ils ont joué la carte de la sécurité ou de la liberté (les autorités). Je ne pouvais pas croire qu'ils soient allés jusqu'à ouvrir les portes des prisons. Cette journée j'ai su que le régime allait tombé, même si je n'y ai pas cru avant. En tant que journaliste, je voyais le fils de Moubarak succéder à son père : parce qu'il n'y avait personne pour se lever contre eux. Ils avaient éliminé toute opposition politique. Les égyptiens moyens travaillaient très fort pour survivre et nourrir ses enfants, ils s'en fichaient de la politique. Mais j'avais oublié le rôle de la jeunesse : ils étaient exaspérés et indignés. Q : Quels étaient vos sentiments le 13 février quand on a annoncé que Moubarak était parti ? J'étais dans le métro. Les gens diffusaient les nouvelles à l'aide de leurs cellulaires et disaient haut et fort “ Moubarak est parti ”. Les gens se félicitaient entre eux. Je n'ai jamais vu l'Égypte comme cela. Je pensais que Moubarak mourrait après avoir massacré la jeunesse. Mais ce ne fut pas le cas. Autour d e la place Tahrir des filles sortaient des voitures et dansaient sur les voitures. Il y avait tellement de joie. Les gens disaient tous “ Mabrouk ”(félicitations en arabe). C'était le plus beau jour de ma vie. Je suis restée sur la place Tahrir avec mes enfants jusqu'à 5 heures du matin. (lire la suite à droite) |
Q : Plus d'un an après, qu'est-ce qui a changé ?
Les gens qui s'attendent à un changement rapide ont tort. Après un pouvoir qui a contrôlé le pays pendant 30 ans, il est très difficile de voir des changements immédiats, ou en 1 an, 2 ans ou 3 ans. L'Égypte a besoin de 10 ans pour se relever. Il y a toujours du chaos après une révolution, n'importe où dans le monde. Je n'aime pas quand les gens disent " quel désastre après la révolution ". Nous n'avons pas fait une révolution pour avoir des emplois le 2e jour. Il y a toujours beaucoup de gens de l'ancien régime dont l'intérêt est de faire en sorte que les résultats de la révolution paraissent négatifs afin de ternir l'image de la révolution. Je ne suis pas surprise par tout ce qui arrive maintenant. Je crois que des puissances extérieures ne sont pas contentes de l'émancipation de l'Égypte aujourd'hui. D'autres pays ont peur d'avoir les mêmes soulèvements civils que nous avons eu et effrayent leurs citoyens en leur disant : regardez dans quel chaos l'Égypte se trouve après la révolution, restez tranquilles chez vous et vous aurez de la nourriture et de l'eau, autrement vous vivrez aussi cette situation... Les choses ont pourtant changé. Le fait que nous pensions il n'y a pas si longtemps que l'Égypte allait plutôt être une dynastie monarchique (même quand nous avions un régime présidentiel) n'est plus maintenant (en parlant du père et du fils Moubarak). La peur que les gens ressentaient à descendre dans les rues et à manifester (n'existe plus). La peur des forces de sécurité (n'existe plus maintenant). Maintenant nous avons besoin de croire en la révolution. Nous n'avons fait que la moitié d'une révolution jusqu'à présent. Nous aurions dû déloger tous ceux qui appartenaient à l'ancien régime. Il va être difficile d'avoir un régime civil, mais je crois que nous en aurons un. Je crois que les militaires ne lâcheront pas le pouvoir. Q : Est-ce que votre vie personnelle a changé ? Depuis la révolution : j'ai des problèmes financiers maintenant, mais je ne regrette rien, c'est comme si j'avais des problèmes de santé et que je ne pouvais pas travailler. La liberté est plus importante que tout. Je suis sûre que mes problèmes financiers sont juste temporaires. Q : Quelle est la situation de la femme égyptienne aujourd'hui (après la révolution) ? Le fait que la femme ait participé à la révolution est très important. Même si nous avions des femmes actives dans les rues, dans des organisations et en politique avant ; elles n'étaient pas prises au sérieux et les gens ne les connaissaient pas. Mais notre participation active au sein de la révolution nous a donné une plateforme sociale et politique. Et elle a donné aux femmes la chance de s'exprimer. Les gens maintenant disent moins “ oh, c'est une fille : elle ne devrait pas descendre dans la rue ”. Maintenant, il y a plus de respect envers les femmes. Q : Quel est le plus grand danger pour une femme ? Il n'y a rien pour les femmes dans les programmes politiques. Il devrait avoir 50 % de présence féminine dans les ministères. Il n'y a pas beaucoup d'organisations qui se consacrent à l'amélioration du statut de la femme. Q : Vous voyez-vous comme une révolutionnaire ? Non je suis Égyptienne. J'ai participé à la révolution en tant qu'Égyptienne. Ça m'a paru tout naturel. Je voulais faire quelque chose pour mon pays : manifester contre un régime malveillant qui nous a gouvernés pendant 30 ans. Et ceux qui n'ont pas participé physiquement, ont participé émotionnellement et nous ont supportés de chez eux. Q : Qu'ont gagné les femmes suite à la révolution ? Personne n'a rien gagné encore. Pas seulement les femmes, mais la société entière n'a rien gagné encore. Mais j'ai l'espoir, que les âmes des jeunes manifestants tués soient bienveillantes avec nous et nous devons continuer à nous battre pour eux. J'espère que l'élection présidentielle sera positive. Et j'ai beaucoup d'espoir. On a besoin de travailler et d'être patient. Et notre nouveau gouvernant devra tous nous représenter, sinon on le mettra dans un avion. En ce qui concerne “ la femme ”, elle est allée sur la place Tahrir et elle a tellement fait de choses pour la révolution. Elle a besoin d'un plus grand rôle et elle doit consolider sa nouvelle position acquise. Et les hommes doivent nous donner plus d'espace. Q : Internet et les médias sociaux ont-ils joué un rôle dans la révolution ? Oui, bien sûr. Admettons que j'ai 2000 amis sur Facebook, tout ce que j'ai à dire : “ je vais à Tahrir ” et j'explique pourquoi, ainsi je touche beaucoup de monde avec ce statut sur Facebook. Et après nous avons des discussions sur ce sujet sur ce média social. C'est beaucoup plus efficace que d'envoyer des courriels aux gens. Donc, oui, les médias sociaux ont joué un grand rôle dans notre révolution. J'utilise beaucoup Facebook dans ce but. Nous avions également des contacts avec les révolutionnaires de Tunisie, ils nous ont donnés de nombreux conseils pratiques sur comment se comporter lors des rassemblements. Cela nous a beaucoup aidé dans notre révolution ici. Sur les médias sociaux, une idée peut se propager en une seconde et rejoindre un grand nombre de personnes. |
Droits d'auteur des photos et des textes : Tatiana Philiptchenko. Tous droits réservés..
|